Perdre le temps devient un véritable sport national chez nous. Quand le temps est à l’action, nos politiques privilégient l’inaction, quand il y a urgence et une impérieuse nécessité de faire bouger les lignes, ils se complaisent dans l’attentisme et quand la situation exige esprit d’anticipation, ils versent dans le jeu d’esquive et les manœuvres politiciennes. Ainsi va le jeu politique dans notre jeune démocratie trahie par ceux-là même qui devraient donner l’exemple et parachever sa construction.
Manifestement, si aujourd’hui le pays frôle la catastrophe sanitaire, la banqueroute financière et l’implosion sociale, c’est parce que le facteur temps a perdu tout son sens chez les acteurs politiques, plus enclins à régler leurs comptes et à gérer leur carrière qu’à faire preuve de redevabilité envers ceux qui les ont portés au pouvoir.
Résultat : la Tunisie est en train de payer le prix fort de l’insouciance, du populisme et du chantage politique. Elle continue à payer le déficit de collaboration et de compromis entre ses acteurs politiques et forces sociales, qui optent résolument pour un jusqu’auboutisme bloquant et destructeur.
Dès lors, la spirale infernale que traverse le pays depuis maintenant cinq mois n’étonne guère, elle n’interpelle plus leur conscience. Un pays qui vit au rythme d’une crise politique sans fin au sommet de l’État et sans espoir de trouver le chemin de la solution entre dans la normalité des choses. Une crise qui ne cesse de gagner en complexité et en profondeur avec l’obstination des trois têtes du pouvoir à refuser tout dialogue serein, tout compromis, toute solution qui prend en ligne de compte les intérêts du pays et les attentes d’une population désabusée et perdant ses illusions. En cherchant à entretenir la tension et le flou, le président de la république, le chef du gouvernement et le président du parlement ont versé dans l’échange d’accusations, les invectives et les discours bellicistes, mobilisant leurs troupes, entretenant la tension, l’incertitude et la peur.
Dans notre pays où la pandémie est devenue presque incontrôlable, le système de santé au bord de l’effondrement, l’économie sur la voie de la banqueroute et la désillusion devient la norme, le temps a perdu toute valeur. Pour la classe politique le pays est suspendu à leurs calculs, à leur égo, à leurs tentations dévorantes de se maintenir au pouvoir, quitte à sacrifier l’avenir du pays, à le déstabiliser et à avoir raison des espoirs et ambitions des tunisiens.
Dans ce contexte difficile et cette ambiance délétère, quels sont les sujets qui dominent le débat public en période de pandémie et de crise financière et sociale ?
Ce ne sont pas certes la recherche de solutions, la définition de stratégies ou la quête d’ une union sacrée de toutes les forces de la nation pour passer ce cap difficile. Loin de là, ce qui importe le plus chez nos politiques ce sont l’escalade verbale, le discours haineux et dogmatique et la tentation populiste dans la gestion des affaires.
Le Président de la République, Kaies Saied, loin de vêtir l’habit d’un rassembleur, ne fait que diviser, désorienter et aller dans le sens inverse des aiguilles d’une montre. Au moment où le pays court des périls existentiels, son discours reste vague, évasif et indéchiffrable. Ce qui compte le plus pour lui c’est d’avoir plus de prérogatives que ne lui permette la constitution. S’autoproclamer Chef des forces armées et civiles, influenceur de la justice, seul interprète de la constitution compte plus que toute autre chose.
Au moment également où on attendait de lui initiatives courageuses, une diplomatie active, un rôle majeur dans la décrispation de la situation politique, l’orientation des politiques économiques et sociales, il préfère parler de complots, de Chambres sombres, de corruption, participant à la paralysie des institutions, à l’accentuation du flou et à l’érosion de la confiance.
Dès lors que peut-on retenir de concret depuis son accession à la magistrature suprême ? Pas grand-chose, si ce n’est un discours que très peu arrivent à déchiffrer et une incapacité à présenter une alternative sérieuse ou des pistes de solutions réalisables, mobilisatrices et consensuelles.