« Savez-vous que les deux tiers du Nord Mali ont déjà été libérés ? En moins d’un mois. La France a fait combien de temps au Mali ? demande une présentatrice virtuelle sur une vidéo. « La présence de la France au Mali est une violation flagrante qui se confirme avec les forces danoises au nom de la force Takuba. Tant que la France est au Mali, elle va mobiliser les pays européens pour l’accompagner dans sa colonisation, chose qui a déjà commencé. La France doit partir », peut-on lire sur le site Malijet. Les soldats français forment des rebelles à Kidal. Le Mali « ne peut même pas survoler son territoire sans l’autorisation de la France » affirme le Premier ministre Choguel Maïga sur les réseaux sociaux. « Tous ces soi-disant coups d’Etat sont dus au fait que l’Occident essaie de gouverner les Etats et de supprimer leurs priorités nationales, d’imposer des valeurs étrangères aux Africains, parfois en se moquant clairement d’eux. Il n’est pas surprenant que de nombreux Etats africains cherchent à se libérer. Cela se produit parce que l’Occident essaie de maintenir la population de ces pays dans un état semi-animal » commente Evgueni Prigojine, le patron du groupe Wagner après le coup d’Etat au Burkina Faso qui selon lui inaugure une « nouvelle ère de décolonisation ».
Désinformation grossière menée par des trolls russes, faux comptes qui cherchent à amplifier le sentiment anti français qui existe et monte au Mali, mais aussi dans les autres pays du Sahel confrontés à la violence djihadiste qui progresse malgré Barkhane.
La France et ses partenaires européens ne peuvent « pas rester comme cela, au Mali du fait des conflits croissants avec la junte. « Il est clair que la situation en l’état ne peut pas perdurer », répond Jean-Yves le Drian, ministre français des Affaires étrangères qui précise : « Nous avons engagé des discussions et avec nos partenaires africains et avec nos partenaires européens pour savoir comment on peut adapter notre dispositif en fonction de la nouvelle situation ». Des propos confirmés vendredi par la ministre des Armée Florence Parly : « On discute avec nos partenaires européens et on étudie quelle est la meilleure voie pour nous. Il faut en déterminer les nouvelles conditions ».
Ces nouvelles conditions – l’hostilité croissante de la junte et la présence d’au moins 600 mercenaires de Wagner malgré les démentis maliens – devraient logiquement entraîner un départ de Barkhane et de de Takuba, force plus européenne et aussi des contingents européens de la Minusma, notamment des Allemands qui se posent la question. Abdoulaye Diop, le ministre malien des Affaires étrangères, qui alterne le chaud et le froid, rétorque que « le Mali non plus n’exclut rien par rapport à ces questions si ça ne prend pas en compte nos intérêts ». Toutefois, une demande de retrait des troupes françaises « n’est pas pour le moment sur la table ». Bamako, qui met en avant sa souveraineté, sait, ce que le pays perdrait si la France et ses alliés se retiraient. Mais les colonels pro-russes jouent aussi sur le fait que Paris n’envisage pas d’abandonner le Sahel. Pas question de rejouer le scénario afghan. Il ne faut pas se leurrer : un départ, qui prendrait d’ailleurs du temps, laisserait le champ libre aux djihadistes pour instaurer un nouveau califat. Les pays du G5 Sahel souffriraient encore davantage. Ce ne sont pas les FAMa ni les autres armées locales ni les mercenaires russes qui pourraient vaincre. Le but de Wagner est ailleurs et on le voit en Centrafrique où les Russes accaparent les ressources et vont même jusqu’à faire voter des lois qui servent leurs intérêts… Au Mozambique, ils ont piteusement échoué face aux shebabs et ont quitté en 2019 ce pays qui, en plus, n’avait pas les moyens de les payer.
Certes, on peut considérer que, malgré des succès importants, Barkhane a échoué, que l’insécurité a augmenté et que le nombre des djihadistes ne cesse d’augmenter. Mais, à qui la faute ? Le pouvoir malien n’a tenu aucun de ses engagements ni respecté les accords pour la paix et la réconciliation d’Alger de 2015. Bamako a abandonné la majeure partie du pays et ses soldats, mal considérés, se battent peu. La situation actuelle, c’est d’abord leur échec. Et le sentiment anti français vient en partie de là : une grande partie de la population, et surtout la jeunesse, reproche à la France d’avoir trop longtemps soutenu des régimes corrompus tournés vers la seule défense de leurs intérêts propres. C’est bien pour cela que la jeunesse burkinabé et guinéenne se range derrière les putschistes. La lutte contre les djihadistes passe par une autre gouvernance, le développement, la reconquête politique et administrative, le retour des services publics, la prise en compte des revendications des minorités. On en est loin…
Paris, qui affirme que ce qui se passe dans le Sahel concerne directement la France et l’Europe – terrorisme et immigration- ne peut, ne veut se retirer totalement mais doit évidemment revoir les contours et modalités de son engagement. En coopération avec les Européens et tous les gouvernements de cinq pays du Sahel. De l’ONU aussi qui s’inquiète du comportement de la junte d’Assimi Goïta. De l’Algérie également qui semble vouloir s’impliquer. Le général Chengriha, hostile à la France, n’oublie pas qu’il a été formé à l’académie militaire Vorochilov.
Faut-il s’implanter en Côte d’Ivoire et au Sénégal, renforcer les bases de Niamey, du Tchad ou du Burkina si la junte le demande ? La lutte doit-elle passer davantage par les renseignements, les drones ? Ou mobiliser plus d’hommes sur le terrain, des soldats africains formés par les Européens ? Ou passer par l’action plus intense des forces spéciales ? Dans tous les cas, il faudrait accroître les moyens, ceux de la France seule sont insuffisants. Là aussi, on se heurte au problème de la Russie, de Wagner…
Si la France est embarrassée, le Mali est de plus en plus isolé et risque de mettre la région dans un danger plus grand.