Après Boualem Sansal, toujours en prison, c’est un autre écrivain franco-algérien, Kamel Daoud, qui est visé par le pouvoir. Son livre, Houris, prix Goncourt 2024, avait été peu apprécié et interdit par Tebboune et ses généraux car il relatait l’histoire d’une jeune femme durant la guerre civile qui, entre 1992 et 2002, a fait jusqu’à 200 000 morts. Aujourd’hui, Alger va plus loin et a lancé deux mandats d’arrêt internationaux sur la base de la loi de 2005 qui prévoit une peine d’emprisonnement de 3 à 5 ans contre « quiconque, par ses déclarations, écrits ou tout autre acte, utilise ou instrumentalise les blessures de la tragédie nationale, pour porter atteinte aux institutions de la République algérienne démocratique et populaire, fragiliser l’État, nuire à l’honorabilité de ses agents qui l’ont dignement servie, ou ternir l’image de l’Algérie sur le plan international ».

Dans cette dictature militaire où les vieux dirigeants s’accrochent à leurs pouvoir et privilèges, nul ne peut s’écarter de leur narratif, de leur récit national qui leur tient lieu de légitimité. Boualem, Daoud et d’autres, comme l’universitaire Mohamed Lamine Belghit qui vient d’être placé sous mandat de dépôt, poursuivi pour « atteinte à l’unité nationale » et « incitation à la haine raciale » après avoir tenu des propos controversés sur l’amazighité.
Si la France est particulièrement visée par Alger, c’est parce qu’elle a commis le plus grand des sacrilèges : la reconnaissance de la marocanité du Sahara occidental. Le président Tebboune avait prévenu Emmanuel Macron : « Vous faites une grave erreur. Vous n’allez rien gagner et vous allez nous perdre ». Un diplomate avait constaté que « la France a intégré le club des ennemis à l’instar du Maroc, des Emirats ou d’Israël ».
Le président français, depuis son arrivée à l’Elysée, et même avant, a cherché une vraie réconciliation avec l’Algérie, mais en vain car Alger en veut toujours plus au plan mémoriel. La France colonialiste, responsable de tout, de massacres de masse. Sans aucune nuance. Et une Algérie de héros, de valeureux Moudjahidines…
La tension ne cesse de monter, avec des expulsions des deux côtés avec, à Paris, des accusations documentées, mais niées par Alger, d’espionnage et de traque d’opposants. Cependant, au nom de l’histoire commune et de l’amitié, tous les ponts ne sont pas rompus. Commentant l’affaire Daoud, la ministre française de la Culture, Rachida Dati, disait ce jour : « on ne peut pas tourner le dos aux Algériens et à l’Algérie ». Un responsable algérien, indique, lui, qu’« Alger garde la porte ouverte et attend un geste fort ».
Demain 8 mai, douze parlementaires français, essentiellement de gauche et du centre, seront en Algérie pour participer « à la commémoration de l’Autre 8 mai 1945». Ce 8 mai là est un jour de massacres à Sétif, Guelma et Kherrata le 8 mai 1945. Selon ces parlementaires « ce déplacement en Algérie doit marquer une étape dans la reconnaissance par la France de sa responsabilité dans ces crimes coloniaux ».
Un geste, un premier pas, mais pas officiel; donc insuffisant. D’autant que l’Assemblée nationale française a largement adopté ce mardi une résolution appelant à la «libération immédiate» de Boualem Sansal. Les députés communistes se sont majoritairement abstenus, et les Insoumis ont voté contre.