Alors que le pays ne cesse de s’enfoncer dans le doute, la désillusion et l’inquiétude, sa classe politique continue à s’étriper, à étaler ses différends et à régler ses comptes, dans une indifférence totale. Seule une petite élite daigne animer le débat public et apporter son soutien aux deux camps afin que ce cafouillis se perpétue et cette fuite en avant se poursuit.
Pendant ce temps, le COVID-19 continue à se propager, le nombre de décès augmente, les institutions hospitalières débordent et les quantités de vaccin s’épuisent. Une situation alarmante qui n’interpelle pas outre mesure nos dirigeants qui préfèrent fourbir leurs armes, entretenir la tension et poursuivre une guerre fratricide sans fin. Une guerre entre ceux qui sont censés nous apporter des solutions, souder nos rangs et nous redonner espoir et confiance !
L’année scolaire, à nouveau interrompue et si la pandémie s’aggrave, risque de se transformer en une année blanche pour plus de 2 millions de jeunes, est approchée avec légèreté et ses conséquences ignorées. L’énergie des trois têtes de pouvoir est dirigée vers d’autres priorités, leurs priorités à eux, non celle des tunisiens.
L’aggravation des difficultés économiques, des tensions sociales, le renchérissement du coût de la vie, la relance des secteurs sinistrés, l’avenir de milliers d’employés… la mise en œuvre des réformes sont des questions qui ne méritent pas grand intérêt, ni concertations approfondies. Les trois têtes du pouvoir ont juré de ne plus s’asseoir autour d’une même table pour en discuter, préférant, chacun de son côté, s’échanger des accusations et d’entraîner le pays sur le terrain glissant de leurs intérêts propres et de leurs ambitions démesurées.
Toutes ces questions, et d’autres, ne méritent pas pour l’instant de figurer dans leur ordre de priorités, eux qui ont juré de poursuivre leur guerre vaille que vaille. Que le pays tombe en ruine, en faillite, que la pandémie décime encore des milliers de personnes, que la pauvreté gagne encore peu de terrain importe peu.
Leur priorité de l’instant est autre. Ils font tout pour que la bataille qui les divise perdure, ils utilisent tous les artifices pour que chacun pousse son adversaire à ses derniers retranchements, à abdiquer. L’avenir de l’expérience démocratique ne compte plus non plus dans leur perception, ni le fonctionnement normal des institutions qu’ils essayent d’instrumentaliser, de les plier à leur volonté. Ce qui est paradoxal, c’est que chacun croit détenir la vérité absolue, que l’adversaire est dans le déni et que le pays devrait continuer à tourner en fonction de son égo, de ses caprices.
Le président Kaies Saied, par exemple, censé être le rassembleur, le garant de la constitution et des institutions républicaines, ne rate aucune occasion pour creuser les sillons de la discorde et ajouter un grand flou à la situation confuse qui prévaut dans le pays. À chaque sortie il crée la diversion en laissant la majorité des tunisiens, excepté ses inconditionnels, dans le flou total dans le désarroi. Tout en se prévalant être la source, la seule autorité qui a le pouvoir d’interpréter la constitution, en l’absence de la cour constitutionnelle, il bloque tout. Il interfère dans tous les domaines et ne s’interdit aucune limite. Parce qu’il a le pouvoir de blocage, il est devenu plus offensif que jamais, ses menaces ne sont plus voilées à ses adversaires et non moins partenaires dans la gestion des affaires du pays. Jusqu’où pourrait-il aller dans sa logique ? Nul ne peut le savoir ou prédire. En tout cas, le pire pourrait survenir à tout moment.
En conflit direct avec Hichem Mechichi qu’il a tenu à nommer à la kasbah, à l’envers et contre tous, il condamne le pays à vivre une crise politique interminable et inédite. Voir les deux têtes de l’exécutif en rupture totale n’augure rien de bon. Qui aurait l’audace de les convaincre de se mettre autour d’une même table et discuter sereinement ? Personne n’a vraisemblablement intérêt que ce conflit prenne fin. Et au vu des dernières évolutions de la situation et du conflit de compétences qui ne cesse de prendre de l’ampleur et de l’appétence du président de la république pour accaparer tous les pouvoirs, tous les pronostics sont permis.
Enfin, la guerre opposant Kaies Saied à Rached Ghannouchi a pris un tournant décisif, grave même. Ce conflit frontal entre le président de la république et le président de l’Assemblée des Représentants du Peuple pourrait rester dans les annales. Aujourd’hui, on ne soigne plus les formes et chacun cherche à piéger l’autre pour le discréditer, l’abattre politiquement. Manifestement cette guerre qui n’est encore qu’à ses commencement sera rude, sans merci et tous les moyens ou plutôt les coups bas sont permis. Dans le cas d’espèce, le chef d’Ennahdha ne peut s’en prendre qu’à lui-même, lui qui a commencé les hostilités en cherchant à grignoter du terrain et à élargir son pouvoir à des domaines qui ne relèvent pas de sa compétence. Aujourd’hui il est en train de récolter ce qu’il a semé.
Ce grand charivari laisse apparaître une seule certitude. De cette guerre fratricide, la seule victime collatérale de ce conflit sans fin n’est autre que le peuple tunisien qui est en train de payer le prix fort des errements de sa classe dirigeante. Un peuple dont le rêve démocratique qu’il a nourri, l’ambition de vivre libre et digne sont aujourd’hui sacrifiés sur l’autel des intrigues, des règlements de comptes politiciens et des calculs étriqués.