Par Salem Mansouri
Ahmed Mestiri est parti il y a plus d’un an pour un monde qu’ il savait meilleur…discrètement, à pas feutrés et dans le silence qu’il aimait et savait observer…
Retiré depuis de nombreuses années de la vie publique après la remise des clefs à ses cadets du MDS et l’ annonce de la fermeture de son cabinet d’avocat de la rue Annaba, suivie quelques semaines plus tard par son annonce officielle de retrait définitif de la vie politique…il continuait à observer de chez lui l’évolution de la vie politique de la Tunisie et la région sans toutefois s’y associer.
Pourtant il réapparut dans la politique pour de courts moments, à son corps défendant, à deux reprises : la première à l initiative d Ahmed Ben Salah dans ce qu’on avait appelé ( initiative Ben Salah..Mestiri..Filali ) tuée dans l ‘œuf par des mains invisibles qui nous ont conduits par des chemins tortueux à la situation actuelle.
Disons à ce sujet quelques mots : [[ Le Président Mbazaa avait reçu le 20 janvier 2011 à la Kasbah les trois hommes politiques » derniers survivants de l’Assemblée Nationale Constituante de mars 1956″ , venus lui expliquer et développer les raisons de leur initiative dont le principal objectif était la sauvegarde de ce qu’on avait présenté à l’époque comme » Révolution » , et d’aider à mettre en place les instruments nécessaires à une évolution efficace et sereine des institutions nationales. Dès le lendemain matin, Ahmed Mestiri, avec son sérieux habituel, entamait sur la base des discussions de la Kasbah les consultations nécessaires pour l’exécution de la mission, rapportées par la Presse. Curieusement, le Président par intérim faisait publier le 23 janvier un communiqué démentant les « informations prêtées à M.Mestiri » ( sic! ) et qu’il s’en tenait aux dispositions de la Constitution. Ahmed Ben Salah et Ahmed Mestiri m’avaient confié, séparément et certainement en accord entre eux, qu’ils n’avaient pas l’intention de commenter le communiqué officiel et de lancer ainsi une polémique inutile . Quant à Mustafa Filali, placé à la tête de la liste des membres désignés pour former la Commission ( au long nom ), il avait tout de suite saisi que c’était plus une manœuvre destinée à semer la discorde entre les amis vétérans de la lutte nationale et avait pris la décision de ne pas participer aux travaux de la dite commission.
Ils avaient tous les trois compris le sens de la manigance qui se tramait dans l’ombre et dont de vieux et d’apprentis sorciers s’étaient mobilisés pour empêcher la réalisation de cette initiative dangereuse à leurs desseins .
Les trois anciens ministres, militants historiques et patriotes authentiques étaient motivés uniquement par leur sens aigu du devoir et avaient voulu apporter leur aide au pays face aux turbulences prévisibles du moment, loin de toute ambition de participation aux commandes du pays.
La seconde apparition d’ Ahmed Mestiri dans l’aire politique date de la période où il fut pressenti pour former le gouvernement devant se mettre en place suite à la démission de Ali Laaraiedh dans les circonstances que l ‘on connaît (après avoir pressenti sans résultat Filali avant lui ) pour lui préférer finalement, dans le dos, un gouvernement dit de technocrates..
Il nous fit part, quelques jours plus tard, de son amertume d’ avoir fait le jeu, à son insu, de manipulateurs qui exerçaient en fait la petite politique…Nous parlerons peut être un jour des deux événements avec plus de détails…Et si j’ai décidé aujourd’hui, après hésitations , de publier ces quelques confidences sur cet épisode peu connu du public, c’est que je n’admets plus de taire des vérités historiques dont je fus directement témoin et de les voir emportées et classées au silence de leurs tombes fleuries ]] .
Retiré chez lui, Ahmed Mestiri recevait ses rares visiteurs avec une chaleur discrète dont il avait le secret .Il n ‘aimait pas beaucoup commenter la vie politique tunisienne comme il était peu disert sur son parcours personnel qu’il avait résumé dans ses mémoires publiées dans les deux langues…
Personnellement, il m’avait agréablement surpris en me téléphonant pour me féliciter à deux reprises, l’une pour un article publié par le journal le Maghreb en seplembre 2013 sur le conflit Bourguiba- Ben Youssef, et l’autre à la lecture de mon livre sur Ben Salah dont je lui avais offert un exemplaire quelques semaines auparavant..
Affecté par la maladie, il ne recevait plus depuis quelques mois et ne répondait même plus au téléphone..Homme de principes, il a eu toujours le courage de ses opinions qu’il savait exprimer dans des formules concises, précises, parfois tranchantes mais toujours franches et toujours loyales.
Il ne savait pas se plier aux jeux malsains de la politique politicienne qui impliquaient forcément la triche et les revirements. Il s’y refusait sciemment, préférant la foi dans la construction des grands desseins pour l avenir de notre pays…
Ce fut un homme discret, digne et fier. Il n’est pas nécessaire en ce jour anniversaire de la commémoration de sa disparition d’énumérer ses nombreux états de service. Nous nous limiterons à rappeler qu’il fut un homme d’Etat hors pair, qui ne transigeait jamais sur les principes.
A notre dernière rencontre dans son minuscule salon, il fit une entorse à sa réserve de commenter la vie publique tunisienne en me lançant d’une voix sourde que je ne lui connaissais pas.. » un Etat qui vous remet dans des boîtes en carton vos enfants morts dans les hôpitaux n’est plus un Etat « . Ce furent pour moi ses derniers mots..
En ravivant la mémoire de ce grand homme, je ne pourrais oublier d’adresser mes sentiments les plus respectueux à son épouse Madame Souad Chenik et à leurs enfants, en priant Dieu le Tout-puissant d’accorder au cher disparu son infinie miséricorde.
Adieu Sid Ahmed