Par Mohcen Lasmar
Professeur de son état, le Président Kaïs Saied est un homme forcément instruit. N’étant pas juriste, je crois tous ceux, du reste nombreux parmi mes connaissances, qui l’ont eu comme collègue ou qui ont été ses étudiants et qui attestent des connaissances solides et étendues de l’homme, de son érudition dans sa spécialité, mais aussi de son intelligence et de son intégrité intellectuelle.
Jusqu’ici pas de problème.
Le problème est peut-être ici, dans cette question: homme instruit, Kaïs Saied est-il pour autant un homme cultivé?
Oui je sais, on va tout de suite me rétorquer que la culture est un vaste domaine insaisissable et difficile à définir et qu’il n’y a pas moins de 52 définitions de la culture. Par culture j’entends cette sagesse que produit chez l’homme, outre la transmission dont il a bénéficié des savoirs fondamentaux, sa connaissance des pratiques artistiques et sa proximité avec les hommes de culture, son ouverture sur les autres civilisations, sa maîtrise de l’art de la communication…, bref tout ce qui fait d’un homme instruit un « honnête homme », au sens où on l’entendait au siècle des lumières en Europe.
Après plus de deux ans de suivi du Président Saied, il me semble permis de dire que ce n’est pas un homme cultivé. instruit, sans doute mais cultivé, non. Homme honnête, assurément mais honnête homme, pas du tout.
J’avoue que je m’en doutais bien avant qu’il n’accède à la présidence. Simple: je ne l’avais jamais vu fréquenter une salle de théâtre ou de cinéma. Je ne l’avais jamais vu dans une galerie d’art, ou prendre part à un débat culturel. Bourguiba recevait les troupes de théâtre dans le théâtre bleu ciel qu’il s’était fait construire dans le palais de Carthage. Moins porté sur la chose culturelle de par sa formation, Ben Ali cédait néanmoins à la pression d’ouvrier de temps à autre la petite salle aux ensembles artistiques. Caïd Essebsi le faisait aussi, naturellement.
Il n’y a pas que des professeurs de droit en Tunisie. Il y a aussi des penseurs, des historiens réputés, des écrivains de valeur, de grands peintres, de bons poètes, des musiciens doués… Pourquoi ne les voit-on pas à Carthage?
Le Président devrait approcher ce monde et se rapprocher de lui. Ces gens-là sont l’intelligence du pays, sa conscience, et sa vision. Leur apport pourrait s’avérer essentiel et aider le Président dans sa délicate fonction présidentielle. Ils pourraient lui inspirer le sens de la modération et de la mesure et la nécessité de tenir un discours moins clivant et moins diviseur. Ils pourraient lui suggérer de parler dans une langue accessible et compréhensible par tous. Ils pourraient surtout le persuader de retrouver son vrai rôle de Président de tous les Tunisiens, ceux qui qui l’applaudissent comme ceux qui le sifflent , et le convaincre qu’il est tenu d’allumer le feu de l’espoir pour les uns comme pour les autres, plutôt que d’agiter sans cesse le bâton du châtiment et de l’exclusion.
Il n’y a pas qu’un problème de loi en Tunisie aujourd’hui, et s’il y en a, la loi ne doit pas ignorer les droits des Tunisiens à débattre ensemble, à espérer, à rêver. C’est cela qui crée l’énergie nécessaire aux changements vertueux tant espérés.