« Trahison » crie Rabat, « agression » et « chantage » proteste Madrid. Pourquoi? Parce que sans avertir le Maroc, l’Espagne a accepté que le chef du Polisario, Brahim Ghali, atteint d’un cancer et malade du covid soit hospitalisé le 18 avril dernier à Logrono. Rabat l’aurait appris en lisant la presse, Jeune Afrique. Un geste de pure « humanité » affirme le gouvernement de Pedro Sanchez qui s’était pourtant divisé sur la question de l’accueil. Et c’est là que le troisième larron entre en jeu, l’Algérie, soutien indéfectible de la RASD et plus encore depuis la présidence de Tebboune dominé par ses généraux. C’est l’armée algérienne qui a organisé le transfert du malade qui a voyagé avec deux passeports au nom de Mohamed Ben Batouche et de Mohamed Abdallah, accompagné d’un médecin qui disposait lui d’un passeport au nom d’un confrère décédé il y a des années… Impossible pour le royaume de laisser passer de tels faits.
« S’il y a un problème ou une crise, c’est parce que l’Espagne a préféré agir et se coordonner avec les ennemis du Maroc plutôt que les sentiments du peuple marocain par rapport à une question fondamentale pour le royaume » affirme le ministre des Affaires étrangères Nasser Bourita. Plus précise, l’agence de presse étatique MAP écrit: « la véritable source de la crise est l’accueil par Madrid sous une fausse identité du chef séparatiste des milices du Polisario ». « Ennemi », « séparatiste », « milices »: les mots ont de l’importance et témoignent de la ligne suivie par le Royaume chérifien depuis la marche verte de novembre 1975 et même avant: le Sahara « marocain » est une cause sacrée qui a d’ailleurs permis à Hassan II se ressouder son pays qui se désunissent. Quiconque s’écarte de la ligne se voit écarté, emprisonné. Souvenez-vous d’Abraham Serfaty qui, pour ses sympathies à l’égard de l’indépendance du territoire a été accusé de « complot » contre la sécurité de l’Etat, mis en prison pendant 17 ans, privé de sa nationalité et banni durant huit ans avant de pouvoir revenir dans son pays. Il y a quelques jours, la MAP accusait l’AFP de partialité dans le traitement des événements de Ceuta. Ou Sebta.
Punir Madrid et l’UE
Quel lien entre Brahim Ghali et l’arrivée de milliers de migrants dans cette enclave espagnole? Il y a toujours eu des tentatives de passer en Europe de cette manière, car Ceuta est considérée comme Melilla comme faisant partie de l’UE. Habituellement, les forces de l’ordre marocaines veillent. Cette fois, pour montrer leur mauvaise humeur, les autorités ont fermé un peu les yeux. Rabat, après la reconnaissance par Trump de la marocanité du Sahara, espérait que l’Europe, ou au moins son allié espagnol, suivraient. Déception: si l’UE ne reconnaît pas la RASD, elle ne se prononce pas sur le « propriétaire » du Sahara occidental et a même écarté un temps le territoire d’un accord sur l’importation de produits agricoles. Le Maroc est extrêmement sourcilleux et orgueilleux et coller dans les pieds de l’Europe 1500 ou plus de 2000 mineurs non accompagnés sonnait comme un rappel à l’ordre, voire une punition. Et force d’autre part l’UE à revoir sa politique migratoire.
A vrai dire, Rabat a laissé faire à Ceuta pour détendre un peu sa situation intérieure. Le pays est loué pour sa politique de vaccination, mais la pandémie l’ a appauvrie : la pauvreté extrême a été multipliée par sept et la pauvreté par plus de deux. Le Maroc très inégalitaire faisait des progrès, il a replongé. Durant trois mois, avant l’été 2020, des aides avaient été accordées; 25 des 38 millions d’habitants du royaume les ont demandées. Elles n’ont pas été renouvelées, mais le mois dernier, un projet de couverture sociale pour tous a été présenté. Le chômage des jeunes est considéré comme une « bombe à retardement ». Ils sont des milliers à vouloir tenter leur chance en Europe…. La fortune de Mohammed VI, que l’on présentait il y a vingt ans comme « le roi des pauvres » se monterait à 8,2 milliards de dollars…
Histoire de gaz
Et l’Algérie là-dedans? Rien à voir bien sûr avec Ceuta. Elle est cependant un élément de poids dans ce dossier entre les deux royaumes. Madrid fait tout pour ne pas froisser Alger. Pourquoi? Pour le gaz. 55% du gaz consommé en Espagne vient d’Algérie. Sonatrach et l’entreprise espagnole Naturgy ont des accords d’approvisionnement qui courent jusqu’en 2030, sont propriétaires du gazoduc Medgaz, (51 et 49%) qui relie les installations gazières de Beni Saf au port d’Almeria. Les deux sont également partenaires dans le gazoduc Maghreb-Europe. Les accords conclus il y a 25 ans entre l’Algérie et le Maroc pour son exploitation prennent fin en octobre ainsi que la concession accordée par l’Algérie à Naturgy.
Ces relations gazières expliquent pourquoi Madrid veut éviter de mécontenter Alger. Et l’on en revient à Brahim Ghali. Cet après-midi, la ministre espagnole des Affaires étrangères Arancha Gonzalez Laya a affirmé que » lorsque Ghali se sera remis de ses problèmes de santé, il devra répondre à la Haute Cour d’Espagne avant de retourner à son pays »,mais il semble bien que le gouvernement socialiste cherche à faire pression sur la justice. Elle vient de refuser d’ouvrir une enquête sur les faux passeports, ce qui aurait déplu à Alger, mais a rouvert jeudi le dossier sur les accusations portées par l’Association sahraouie des droits humains pour « génocide, viols, tortures et crimes de guerre ». D’autres responsables du Polisario sont concernés ainsi que quatre généraux algériens dont on ignore le nom. Brahim Ghali doit comparaître le 1er juin. Le juge du tribunal national Santiago Pedraz a refusé que le chef du Polisario soit arrêté avant cette date. Il peut donc quitter librement l’Espagne malgré les dires de la ministre. De sources médicales, on déclare qu’il est hors de « danger » et a quitté l’unité de soins intensifs. Brahim Ghali fera ce que ses patrons algériens lui ordonneront de faire…
Entre rois?
Le différend entre Madrid et Rabat pourrait être tranché au plus haut niveau par les deux souverains, Felipe et Mohammed VI. Interrogée, Arancha Gonzales Laya a simplement répondu que » le roi a un rôle important dans nos relations internationales ». Le site Maghreb on line écrit que « des sources diplomatiques sont convaincues que Rabat comprend que l’Espagne ne pouvait ignorer la demande de l’Algérie et apprécie le rôle qu’elle joue en sa faveur au sein de l’UE. En ce moment, soulignent les mêmes sources, l’Espagne tente d’obtenir de l’UE qu’elle n’inclue pas le Maroc dans sa liste grise de paradis fiscaux ». S’agirait-il surtout pour les deux pays de ne pas perdre la face? Et même pour les trois? Le Polisario ne compte pas vraiment. Un pion dans un jeu qui le dépasse…