La chute d’El-Facher marque un tournant dans le conflit au Darfour. Les organisations humanitaires alertent sur les risques de crimes contre les civils et appellent à une action urgente de la communauté internationale.
Des bénévoles débordés par le flux de déplacés qui ont fui la ville soudanaise d’El-Facher conquise par les paramilitaires ont lancé mercredi un appel à l’aide à la communauté internationale. Une demande faite en l’absence de toute perspective de trêve. Jusqu’à sa chute dimanche, El-Facher était la dernière des cinq capitales du Darfour contrôlée par l’armée régulière, en guerre depuis avril 2023 avec les paramilitaires des Forces de soutien rapide (FSR), désormais maîtres de l’ensemble de cette vaste région de l’ouest du pays.
«La situation a pris une tournure dramatique depuis dimanche. Les femmes et les enfants arrivent dans un état d’épuisement extrême», a dit à l’AFP John Ocheibi, humanitaire pour l’ONG ALIMA depuis Tawila, une ville à 70 km d’El-Facher où ont trouvé refuge des milliers de civils. «Certains n’ont pas mangé depuis des jours et ont parcouru de longues distances à pied. D’autres ont été battus, dépouillés ou menacés sur la route. Beaucoup pleurent leurs proches», a témoigné l’humanitaire de 45 ans qui se trouve dans une clinique de l’ONG.
L’ONU multiplie les alertes
Le général Mohamed Daglo, chef des FSR, a reconnu mercredi la «catastrophe» endurée par les habitants de la ville, qui étaient assiégés depuis 18 mois, mais réaffirmé son engagement pour «l’unité du Soudan par la paix ou par la guerre», dans un discours sur sa chaine Telegram. Lundi, le chef de l’armée, le général Abdel Fattah al-Burhane, avait reconnu le retrait de ses hommes de la ville mais dit que son camp était déterminé à continuer de se battre. Le secrétaire général de l’ONU Antonio Guterres s’est dit jeudi «gravement préoccupé par l’escalade» à El-Facher, appelant à «mettre un terme immédiatement (…) aux hostilités».
Auparavant, les institutions onusiennes avaient multiplié les alertes sur les «atrocités», les massacres de civils ou les risques de «nettoyage ethnique». Jeudi, le ministre adjoint britannique des Affaires étrangères, Stephan Doughty, a évoqué «des preuves croissantes de civils sans défense exécutés et torturés», lors d’une intervention à la chambre basse. Les informations sur le meurtre de plus de 460 personnes dans l’hôpital saoudien d’El-Facher, dénoncé par des bénévoles locaux et étayé par des images satellite, a suscité l’indignation la plus vive. La directrice du Fonds des Nations unies pour la population (FNUAP), Diene Keita, a qualifié l’attaque de «monstruosité indicible», ajoutant que «le monde ne doit pas rester silencieux».
«Situation humanitaire critique»
Les FSR ont «catégoriquement nié les allégations» concernant la mort des centaines de patients à l’hôpital saoudien, dans un communiqué posté sur leur chaîne Télégram affirmant que «les hôpitaux sont hors service depuis que les civils ont quitté la ville». Sur le terrain, le flux de réfugiés se poursuit. Depuis dimanche, plus de 36’000 civils ont fui El-Facher, dont plus de 23’000 ont rejoint Tawila, qui abritait déjà environ 650’000 déplacés, selon des estimations de l’ONU.
«La région de Tawila fait face à une situation humanitaire critique», ont alerté les cellules d’intervention d’urgence (EER) de Tawila, l’un des groupes de bénévoles mobilisés pour aider les civils. Les ERR ont appelé «les organisations nationales et internationales et les acteurs humanitaires» à répondre «aux besoins urgents sur le terrain». «Si le monde n’agit pas en urgence, les civils risquent de subir des crimes plus abominables», a aussi averti Human Right Watch. L’ONG a notamment appelé le Conseil de sécurité de l’ONU et l’Union européenne à prendre des sanctions contre les dirigeants des FSR, dans un communiqué jeudi.
Les FSR ont reçu armes et drones des Emirats arabes unis
Les civils qui fuient El-Facher «subissent (…) des viols, des pillages et des meurtres», a affirmé HRW en écho à de multiples rapports documentés. Des vidéos vérifiées par HRW, montrent des scènes d’exécutions sommaires de civils. Les communications étant coupées, il est très difficile de joindre des sources locales indépendantes. Selon le comité de résistance d’El-Facher, qui documente les exactions depuis le début du conflit, des combats avaient encore lieu dans l’ouest d’El-Facher mercredi soir. Les pourparlers en vue d’une trêve menés depuis plusieurs mois par un groupe réunissant les Etats-Unis, l’Egypte, les Emirats arabes Unis et l’Arabie saoudite sont dans l’impasse, selon un responsable proche des négociations.
La guerre au Soudan se joue sur fond de rivalités régionales. Les FSR ont reçu armes et drones des Emirats arabes unis d’après des rapports de l’ONU, tandis que l’armée bénéficie de l’appui de l’Egypte, de l’Arabie saoudite, de l’Iran et de la Turquie, selon des observateurs. Tous nient toute implication. Les dernières violences rappellent ce qui s’est passé au début des années 2000 au Darfour, marqué par des atrocités commises par les milices arabes Janjawid, dont sont issues les FSR.
