Comme attendu, le texte de la proposition de résolution sur la Tunisie proposé par le groupe La Gauche( The Left), a été adopté hier, jeudi après-midi à la fin des travaux de la session d’octobre du Parlement Européen(PE) à Strasbourg.
Ce qui n’était pas attendu par contre, c’est le taux particulièrement élevé des eurodéputés qui ont voté pour cette résolution. 534 eurodéputés sur les 705 que compte le Parlement européen ont, en effet, voté en faveur de cette résolution, contre 45 contre, et 106 abstentions. Dans les traditions du PE, c’est exceptionnel.
Du coup, la Tunisie n’est plus, en raison de cette résolution, cette « exception » qui impressionnait les grandes démocraties du monde et qui, pendant dix ans, attirait aide et respect. Ravalée au statut d’un pays « attaquable »sur les valeurs les plus fondamentales, elle s’expose désormais à tous les dangers.
UNE IMAGE ENDOMMAGÉE
Soyons clairs d’abord. Certes, c’est le PE, de par sa qualité de « seule institution de l’Union Européenne(UE) élue au suffrage universel direct et gardien des libertés, des droits de l’homme et de la démocratie en Europe et au-delà », qui a initié et voté cette résolution. Mais il ne fait de doute que derrière la décision se cachent les dirigeants politique des principales puissances de l’Union, à savoir l’Allemagne, la France et l’Italie et qui se trouvent être aussi les partenaires les plus importants de notre pays. Par ailleurs, et comme c’est souvent le cas, sauf très rares exceptions, il y a manifestement une coordination d’efforts sur la question tunisienne entre l’UE et les États-Unis. Nous devons donc nous attendre à entendre dorénavant le même discours répété de la part des uns et des autres, ce qui donne plus de poids et d’effet aux exigences qui y sont exprimées. À quelles conséquences faut-il maintenant s’attendre?
Soumise à la critique étrangère sous les yeux du monde, l’image du pays est aujourd’hui la première victime de cette résolution qui l’atteint d’autant plus violemment qu’elle intervient après dix ans pendant laquelle le pays donnait l’impression d’être définitivement sortie du cercle des « nations à problème », selon le jargon des experts européens. Le coût de réparation de cette image qui conditionne la qualité de nos rapports avec les acteurs de la politique européenne sera exorbitant et surtout lent car le PE est une grosse caisse qui met du temps à se calmer quand on la fait raisonner.
D’autre part, et alors que la Tunisie aspire à obtenir le statut avancé promis par l’UE, à l’instar du Maroc, élevé au rang de partenaire privilégié, les choses risquent désormais d’être rudes après cette résolution qui va faire douter les dirigeants européens de la détermination de notre pays à achever son processus démocratique. Il faut rappeler à ce propos le rôle décisif du PE dont l’approbation est nécessaire pour les accords internationaux conclus par l’UE, et dont l’influence sur la politique étrangère européenne ne cesse de grandir.
UNE PRÉOCCUPATION POUR 500MILLIONS DE CITOYENS
Pour revenir à la Résolution, il est loisible de constater qu’elle ne sort en fait pas du cadre déjà connu et incluant les demandes de retour à la normalité constitutionnelle avec le rétablissement du Parlement, la présentation d’une feuille de route précise, l’inclusion de la société civile dans un dialogue national et la cessation de toute atteinte aux libertés individuelles.
Le PE n’ajoute rien par rapport aux demandes formulées précédemment par les diplomaties américaine et européenne, pourrait-on être tenté de dire. C’est vrai. Sauf qu’en intervenant sur la question le PE la transforme d’une crise d’un pays associé en une préoccupation politique pour 500 millions de citoyens européens. Le PE est tout à fait dans son rôle quand il dit défendre les intérêts des peuples de l’Europe, intérêts qu’il considère indissociables des valeurs qui fondent le projet de l’UE, et qui doivent être protégées dans le cadre des accords économiques et commerciaux entre l’UE et les pays tiers comme le nôtre. Il ne sera plus étonnant que l’UE réduira son partenariat avec notre pays, comme l’a laissé comprendre la résolution, au juste minimum, c’est-à-dire aux simples questions humanitaires, en l’occurrence la lutte contre le Covid-19. Quand on sait que 75% des échanges se font avec l’UE, on imagine l’ampleur des enjeux. Le partenariat avec l’UE où vit par ailleurs 1 million de nos compatriotes, déborde le cadre économique et commercial pour toucher à l’éducation, à la culture, à l’environnement…C’est dire les gros risques posés par une éventuelle perturbation de ce partenariat.
Par Mohsen Lasmar
