Après l’attentat qui a causé la mort de 26 civils au Cachemire indien mardi et dont New Delhi impute la responsabilité à Islamabad, les autorités indiennes et pakistanaises ont engagé un bras de fer diplomatique.
Le ton monte entre l’Inde et le Pakistan. Si les relations entre les deux voisins sont historiquement conflictuelles, la situation a pris une tournure inédite, jeudi 24 avril, quand les autorités indiennes et pakistanaises ont respectivement appelé les ressortissants du pays voisin à quitter leur territoire sans délai. Deux jours après un attentat meurtrier survenu dans la ville touristique de Pahalgam, dans la région frontalière du Cachemire, disputée entre les deux puissances nucléaires, cette escalade diplomatique fait craindre de nouvelles violences.
Meurtri par des décennies de conflits entre deux pays rivaux, le Cachemire est redevenu le théâtre d’un emballement qui inquiète bien au-delà des contreforts de l’Himalaya.
Le Cachemire, une région disputée
L’attentat de mardi, au cours duquel des terroristes ont abattu 26 personnes – 25 Indiens et un Népalais – à Pahalgam, a bouleversé l’opinion publique. Située au milieu des montagnes et des forêts, la ville est une destination prisée des touristes venus de toute l’Inde, qui y trouvent ces dernières semaines un peu d’air frais quand le reste du pays, lui, est écrasé par la canicule.
Depuis la fin des années 1980, cette région à majorité musulmane abrite une insurrection menée par des rebelles qui réclament l’indépendance du Cachemire ou une fusion avec le Pakistan. Mais au fil des ans, les violences s’étaient limitées à des affrontements entre insurgés et forces de sécurité. Des violences sanglantes, mais qui épargnaient la population civile et les touristes, principaux pourvoyeurs d’emplois pour la population locale.
Alors que l’Inde et le Pakistan s’accusent régulièrement de soutenir des rébellions pour déstabiliser l’autre coadministrateur d’un Cachemire divisé en deux entités, Islamabad a nié toute responsabilité dans l’attentat. Le Premier ministre indien, Narendra Modi, n’a pas non plus formellement mis en cause le Pakistan, lors d’une prise de parole mercredi. Mais alors que la police locale a diffusé les portraits-robots de trois suspects, dont deux sont présentés comme membres d’un groupe nommé Front de la résistance (TRF) et lié à des groupes jihadistes basés au Pakistan, les représailles n’ont pas tardé.
Une rapide escalade diplomatique
Mercredi, l’Inde a dévoilé une première série de représailles diplomatiques contre le Pakistan. Parmi elles : la fermeture du principal poste-frontière terrestre entre les deux pays et le rappel de nombreux diplomates. Le lendemain, le ministère des Affaires étrangères indien a annoncé la « suspension à effet immédiat » de la délivrance des visas aux Pakistanais et l’annulation de tous ceux en cours d’ici au 29 avril. « Tous les citoyens pakistanais actuellement en Inde doivent quitter l’Inde » d’ici là, a-t-il ajouté.
New Delhi a par ailleurs annoncé suspendre son traité encadrant le partage des eaux du fleuve Indus avec le Pakistan, une première depuis sa signature en 1960. Si l’AFP se fait l’écho d’experts pour qui « l’Inde n’a pas la capacité de suspendre l’approvisionnement en eau des 240 millions de Pakistanais », la menace est très concrète pour le pays qui « dépend presque exclusivement de l’Indus » et de ses eaux en provenance des glaciers des montagnes de l’Himalaya, résume une note de la revue spécialisée Climate Diplomacy.(Nouvelle fenêtre) Dans un contexte de réchauffement climatique dévastateur dans la région, elle rappelle que cette particularité « fait du Pakistan l’un des pays les plus touchés par le stress hydrique au monde ».
Le Pakistan a riposté sans attendre : expulsion de diplomates, suspension des visas indiens, fermeture de sa frontière et de son espace aérien. Le vice-Premier ministre, Ishaq Dar, chef de la diplomatie, a aussi promis des « mesures fermes » contre toute « menace indienne », tandis que le ministre de la Défense, Khawaja Asif, a mis en garde : « L’Inde mène une guerre de basse intensité contre nous et s’ils veulent faire monter les enchères, nous sommes prêts. Pour protéger notre terre, nous ne plierons devant aucune pression internationale. »
Une colère qui grandit dans l’opinion
Face à ces sanctions et représailles, des experts cités par l’AFP anticipent une riposte militaire de New Delhi, comme en 2019 après une attaque meurtrière qui avait visé un convoi de l’armée indienne. « Cette attaque va faire revenir les relations entre les deux pays à leurs heures les plus sombres », prévient l’analyste Praveen Donthi, de l’International Crisis Group (ICG).
Avant même qu’il ne soit question d’opération militaire, ces déclarations ont enflammé l’opinion dans les deux parties du Cachemire et plus généralement dans les deux pays.
L’Association des étudiants du Jammu et Cachemire rapporte que de nombreux étudiants originaires du Cachemire ont été, depuis mercredi, la cible de menaces et d’agressions, dans toute l’Inde, et traités de « terroristes » depuis l’attentat de Pahalgam. Le président de l’association, Nasir Khuehami, a dénoncé auprès de l’AFP « une campagne délibérée et ciblée de haine et de calomnie », alors que le gouvernement ultranationaliste hindou de Narendra Modi, ouvertement islamophobe, a réduit les droits des minorités musulmanes dans le pays le plus peuplé du monde.
Au Cachemire pakistanais, 300 manifestants sont descendus dans les rues, poursuit l’agence, qui donne la parole à un cadre local du Parti du peuple pakistanais (PPP), la coalition gouvernementale. « Si l’Inde commet l’erreur de nous agresser, les Pakistanais du Cachemire seront en première ligne pour se battre », assure-t-il entre deux slogans anti-Inde. A l’appel d’un parti soutenant la lutte armée pour le rattachement du Cachemire au Pakistan, quelque 700 personnes ont défilé à Lahore, plus au Sud, tandis que 250 personnes se sont rassemblées dans la capitale et dans d’autres villes du pays.