« En rendant le verdict au creux de la nuit, un samedi de week-end pascal, le régime savait que les Occidentaux n’allaient pas réagir et que les médias seraient au ralenti. Un procès que Kaïs Saïed a voulu « au nom du peuple », peut-on lire ce jour dans la « Lettre du Maghreb » sur le site de l’hebdomadaire français Le Point. Oui, peu de journaux paraissent le dimanche. Cependant, Courrier International note que la presse internationale voit dans ce procès et ses lourdes condamnations, allant de 13 à 66 ans d’emprisonnement ,une énième confirmation de l’enlisement de la Tunisie dans l’autoritarisme.
La journaliste Vivian Yee du New York Times, en charge de l’actualité nord-africaine écrit que « le pays ne cesse de retomber dans l’autoritarisme et la répression depuis que le président Kaïs Saïed a instauré un pouvoir personnel en 2021. Depuis lors, constate-t-elle, « journalistes, militants, avocats et associations de défense des droits affirment que les médias ont été largement muselés et que le pouvoir judiciaire, autrefois indépendant, a été contraint d’appliquer la volonté de Saïed ».
Pour Le Point et sa Lettre du Maghreb, « le verdict fut à l’image du procès : kafkaïen, brutal, noctambule. C’est à 4 h 30 du matin ce samedi que le juge a distribué les peines aux quarante accusés du procès dit du complot. À 4 h 55, la TAP, l’agence de presse nationale, en publiait les premiers extraits. La plus petite peine attribuée fut de dix ans de prison ferme (pour le chauffeur d’un des accusés), la plus lourde, soixante-six ans de prison ferme. La violence du verdict, son irruption dans la nuit, n’a pas étonné les familles des « 40 de Tunis », quarante personnes ayant pour seul point commun leur opposition au régime dictatorial de Kaïs Saïed. Tous étaient accusés de « complot contre l’État ».
Pratiquement pas de journaux ce dimanche et donc pas de commentaires. Samedi soir, le site du Monde citait des personnalités tunisiennes, figurant ou non parmi les condamnés. « Ce qui s’est passé est sans précédent. C’est une folie judiciaire. Certains des prévenus n’ont vu le juge que quelques minutes, il y a plus de deux ans. Le procès sur le fond a duré en tout trente secondes », déplore Samir Dilou, avocat de la défense.
La radio Europe 1 soulignait que l’une des personnes jugées par contumace, Kamel Jendoubi, a dénoncé un « assassinat judiciaire » : « C’est une décision politique exécutée par des juges aux ordres, des procureurs complices et une ministre de la Justice, bras armé d’un autocrate paranoïaque ». Elle mentionnait aussi que l’analyste Hatem Nafti, expliquait qu’ « un acquittement aurait nié le narratif conspirationniste sur lequel repose le régime depuis 2021 », encore « accepté par une partie importante de la population » en raison d’une « mise au pas de la plupart des médias ».
Des rappels également : la défense a toujours critiqué un dossier « vide » tandis que l’ONG Human Rights Watch a affirmé que le procès se tenait dans « un contexte répressif » où le président « instrumentalise le système judiciaire pour s’en prendre aux opposants et dissidents ». Déjà en février, le Haut-Commissariat de l’ONU aux droits de l’Homme avait dénoncé la « persécution des opposants » en Tunisie, estimant que nombre d’entre eux faisaient « l’objet d’accusations vagues après avoir vraisemblablement exercé leurs droits et libertés ».
Mercredi, Le Monde avait donné la parole à l’avocat français William Bourdon qui a pu assister, vendredi 11 avril, à la reprise du procès. Il était très sévère : « Dans cette affaire, tous les grands principes d’un procès équitable sont piétinés, à commencer par l’article 141 bis du code de procédure pénale tunisien, qui prévoit les conditions dans lesquelles un accusé peut être jugé en son absence. Ce texte, voté pendant l’épidémie de Covid-19, est instrumentalisé aujourd’hui.
Ce qui est nouveau également, c’est l’attaque menée contre la société civile, qui a été l’un des ferments de la révolution tunisienne de 2011. Ben Ali n’aurait pas osé s’attaquer aux organisations humanitaires, le régime actuel le fait. Il met en prison les Tunisiens qui dénoncent l’indignité du régime et portent secours aux migrants. Une dirigeante d’association féministe m’a expliqué que son organisation, comme beaucoup d’autres, fait l’objet de contrôles fiscaux incessants, de soupçons de blanchiment, selon une mécanique de diabolisation qui rejoint celle de l’ennemi de l’intérieur ».