Le Football club Djérissa, FCD, ça vous dit quelque chose?Longtemps pourtant, ce club de la petite ville minière du nord-ouest a compté parmi les équipes tunisiennes les plus en vue. C’était une équipe leader de la division 2 (l’équivalent de la nationale 2 aujourd’hui) et a même joué en division nationale pendant la saison 1970-1971.Créé dans la foulée du lancement de l’exploitation de la mine de fer autour de laquelle s’est bâtie la ville actuelle au début du siècle dernier, la naissance officielle du Football Club de Djérissa remonte à l’année 1922, soit depuis 100 ans dans quelques mois. Les fondateurs du club, dont beaucoup de mineurs italiens ont choisi les couleurs noir et blanc pour l’habiller, en souvenir sans doute de la célèbre vieille équipe italienne, la Juventus, cependant que d’autres italiens parmi ceux nombreux encouragés à venir s’installer dans le vaste nord-ouest, ont opté pour le rouge-et-noir comme couleurs du voisin l’Olympique du Kef(OK), rappelant l’équipe de la Ville de Milanaise. Entre les deux clubs voisins, une bonne concurrence qui défie le temps et les générations.
UNE VILLE MORTE?
Un siècle, donc, que le football se pratique dans cette ville rouge-rouille de Djérissa, sa couleur éternelle, qu’elle emprunte à la mine de fer. Ou plutôt ce qui reste de cette mine, épuisée depuis déjà une vingtaine d’années. La ville de Djérissa, autrefois pôle économique dynamique et florissant, vit aujourd’hui la pauvreté et le chômage. Et la première victime de cette nouvelle situation qui n’avait pas été prévue par les responsables politiques de la ville, c’est la jeunesse, et par voie de conséquence, l’activité sportive. Basketball, handball, volley-ball, athlétisme, pétanque… Toutes les équipes de sports collectifs nées à l’ombre du club du football ont disparu les unes après les autres, faute de pratiquants-beaucoup de jeunes ayant pris le chemin de l’exode ou de l’émigration-et faute surtout de moyens matériels. Résultat:le grand FCD est redevenu tout petit et s’est laissé inéluctablement reléguer de division inférieure en division inférieure, jusqu’à toucher le fond, tout comme la ville qui lui a donné naissance, retombée elle aussi dans une désolante désertification industrielle et une ruralisation qui a eu raison des traditions citadines des djérissiens, autrefois si fiers d’appartenir à un petit bijou de cité qui se faisait appeler « petit Paris ». Mais comme souvent de la désespérance la plus profonde naît la promesse la plus belle, des jeunes se sont levés dans un élan de solidarité pour sauver leur club et lui insuffler un sang nouveau. Ils se sont associés à un formidable mouvement collectif d’entraide et de soutien à travers les pays du monde où ils ont autrefois émigré par centaines et par vagues successives, quelquefois de façon irrégulière, en France et en Italie, principalement, mais aussi au Canada et même aux États-Unis. Ils se sont regroupés en associations par delà les frontières grâce aux réseaux sociaux, apportant aides matérielles, équipements de toutes sortes et n’épargnant aucun encouragement aux dirigeants et et aux joueurs. Mission réussie: le FCD remonte à la 3ème division.
LE SURSAUT DES JEUNES
«C’est un nouvel état d’esprit qui se met doucement en place, confie Samir Kalai Baāli, la cinquantaine, installé depuis trente ans dans la ville de Grenoble, et président de l’Association Main dans la main. Pour lui les jeunes ne veulent plus attendre l’Etat, mais s’engager à réaliser quelque chose pour leur ville et ses habitants. D’où le rôle essentiel des associations appuyées par les les réseaux sociaux pour développer un esprit de dialogue et de solidarité entre la communauté établie à l’étranger et les structures locales, et pour prendre en charge toutes les actions sociales et culturelles pouvant être réalisées dans un esprit d’entraide et de complémentarité », explique-il. Grâce à leurs efforts conjugués, les membres de l’association Main dans la main à l’étranger, ont acheté un bus au profit du club de foot, dont l’acheminement du Port de la Goulette jusqu’à Djérissa a donné lieu à des festivités populaires qui ont serré davantage les liens des jeunes entre eux-mêmes et autour de leur club. Dans la foulée l’Association a doté la ville d’un véhicule pour le transport des malades atteints d’insuffisance rénale vers les centres de dialyse et a participé à l’équipement de l’hôpital local.
FAIRE TACHE D’HUILE
« Plus encore que les réalisations somme toute limitées par rapport aux besoins de la ville et à nos ambitions, le vrai apport de notre association c’est d’avoir secoué la conscience des jeunes et d’aider à l’émergence d’un nouvel état d’esprit, celui de l’effort personnel et du compter-sur-soi », souligne Samir Baāly en ajoutant que l’objectif sur lequel planchent les adhérents c’est la culture « afin dit-il, d’introduire un peu d’âme dans la vie des Djérissiens et réunir les meilleures conditions pour célébrer le centenaire du FCD ». Mais déjà l’action de Main dans la main fait tâche d’huile dans le villes voisines. A Kalaat Senan, des jeunes du diaspora de cette ville en France ont eux aussi doté leur club d’un bus flambant neuf. Ceux de Tajerouine s’apprêtent à faire de même, ainsi que ceux de Kalaat Khasba. Autrefois prospères grâce aux mines, ces villes retrouvent vie grâce au sursaut de leurs jeunes déterminés à passer outre l’attente d’une action gouvernementale qui ne vient pas.
Djérissa ou Jérissa
Alors que la lettre « d » existe toujours dans la dénomination du club de football (FCD), elle a cependant disparu depuis la première moitié des années 70 dans le mouvement dit d’arabisation menée sous l’impulsion de feu Mohamed Mzali. Tous les « d » précédant les noms propres ou communs ont alors disparu dans leur graphie française. Perdant son « d » dit lettre d’appui dans la langue française et qu’on trouve dans des mots d’emprunt comme « djébel », Djérissa est devenu Jérissa. Décision absurde puisque d’une part toute l’histoire de cette ville est consignée sous la graphie Djérissa et non Jérissa, et que d’autre part d’autres noms de ville ou de région comme Djerba ou Djérid ont gardé leur « d ». Il faut savoir!


Par A.Zoghlami