Le sénateur américain Chris Murphy a livré, dans un émail, les détails de sa tournée dans quatre pays de la Méditerranée, entre autres sa visite en Tunisie et sa rencontre avec le président de la République, Kaïs Saïed.
Voici la traduction de ce qu’il a raconté dans un compte rendu interne : « Notre troisième visite était peut-être la plus importante. En Tunisie, une crise avait éclaté au cours des 30 derniers jours. J’ai entretenu une étroite coordination avec le Département d’État et la Maison Blanche pour m’assurer que notre visite rapide aiderait à clarifier la position des États-Unis sur le dénouement de la crise. Au cours des dix dernières années, la Tunisie a été la seule réussite démocratique en Afrique du Nord. Entourée de dictateurs et de guerres civiles, la petite Tunisie est sortie du Printemps arabe avec un nouveau gouvernement démocratique. En dépit du progrès économique lent, la République tunisienne a pu s’imposer comme un modèle pour d’autres mouvements démocratiques naissants dans la région. Mais le 25 juillet, le président du pays, le rigoureux ancien professeur de droit Kais Saïed a annoncé l’état d’urgence, a envoyé l’armée fermer les portes du Parlement et s’est déclaré seul dirigeant du pays jusqu’à la formation d’un nouveau gouvernement. Peut-on qualifier Saïed de dictateur en devenir ? La plupart des Tunisiens ont soutenu sa décision de suspendre un Parlement devenu complètement dysfonctionnel et incapable de contrôler une épidémie Covid-19, parmi les plus meurtrières d’Afrique. Mais plus d’un mois s’est maintenant écoulé et les Tunisiens et la communauté internationale ont commencé à s’inquiéter du fait que Saïed n’envisageait peut-être pas de remettre le pays sur la voie de la démocratie. Notre rencontre – la première (de Saïed) avec une délégation du Congrès depuis les premiers jours de la crise – serait un exercice pour déceler ses intentions », a indiqué Chris Murphy en introduction.
« La rencontre n’a pas démarré de manière prometteuse. Ossoff et moi avons été informés par le chef du protocole de Saïed que le Président exige une stricte formalité pour ce qu’ils appelaient « une audience » avec le président. Nous sommes supposés entrer dans la salle d’une certaine manière, faire face au Président depuis un certain angle, nous tenir à une certaine distance du Président pendant qu’il salue chaque membre de notre délégation, un par un, avec un court discours de bienvenue formel. Alors que je me préparais à entrer dans la pièce, le chef du protocole m’a sommé de boutonner la veste de mon costume. Ce cérémonial dépassait de loin ceux de tout autre dirigeant démocratiquement élu que j’ai rencontré pendant le voyage », a signalé le sénateur américain sur un ton légèrement critique.
« Saïed a ouvert la réunion avec un discours de 45 minutes (avec une réflexion sur le préambule de la constitution du Connecticut) sur la façon avec laquelle tous ses ennemis politiques avaient qualifié à tort sa déclaration d’état d’urgence de coup d’État. ‘Ce n’était pas un coup d’Etat’, a-t-il répété au moins trois fois lors de son long propos (enregistré par plusieurs de ses propres caméras à l’intérieur de la salle). Mais après avoir terminé son introduction, les caméras sont parties et notre conversation est devenue plus franche. Je l’ai acculé pour nous présenter son projet sur le rétablissement de la démocratie représentative du pays. Je lui ai dit que les préoccupations grandissaient pour la Tunisie, et que des réponses précises à ces questions aideraient à calmer les partenaires de la Tunisie, comme les Etats-Unis », a-t-il ajouté.
« En réponse, Saïed a prononcé un autre très long discours, mais dans lequel il a déclaré sans équivoque que son plan était de nommer un nouveau Premier ministre et un nouveau gouvernement, et de lancer le processus d’amendement de la constitution pour mettre en place une structure gouvernementale plus efficace et plus réactive (…) À la fin de la réunion de deux heures et demie, j’ai commencé à discuter de musique (le Président avait mentionné son intérêt plus tôt lors de la réunion), dans une tentative de former un lien plus personnel entre lui, Ossoff et moi. Je l’ai fait sourire plusieurs fois en parlant de son amour pour la musique classique, et je suis parti (de l’espoir au cœur) mais incertain quant à la voie à suivre pour la Tunisie. Néanmoins, il était très important pour le Président d’avoir nos points de vue et de savoir que les relations étroites entre les États-Unis et la Tunisie dépendent de l’engagement de la Tunisie en faveur de la démocratie», a avancé Chris Murphy.
Le sénateur a, rappelons, le effectué une visite en Tunisie samedi dernier. Au terme de sa rencontre avec le chef de l’Etat, il a publié une série de tweets dans laquelle il a affirmé avoir appelé à un retour urgent au processus démocratique et à mettre un terme, rapidement, à l’état d’urgence. La présidence de la République a, de son côté, publié un communiqué et une vidéo de la rencontre soulignant que le 25-Juillet n’était guère un coup d’Etat