C’est la phrase de l’écrivain et célèbre défenseur de la culture orale en Afrique, le malien Amadou Bâ, devenue proverbiale : « un vieillard qui meurt, c’est une bibliothèque qui brûle ».
Pastichant cette phrase, je dirais : chaque vieille dame qui meurt, c’est une recette de couscous qui disparait. Car on a beau apprendre à faire le couscous quand on est jeune fille, ce n’est que bien plus tard, après le mariage et l’arrivée des enfants qu’une femme arrive enfin à « maitriser » son couscous. Ce jour-là marque son indépendance vis-à-vis de sa mère, même si elle continue, le plus souvent, à préférer avec ses enfants le couscous de sa maman, voire de sa grand-mère.
C’est que le couscous n’est pas qu’un repas populaire plus ou moins riche, plus ou moins élaboré. C’est une fête. On ne mange pas le couscous, on le célèbre. Il plonge ses racines dans des traditions millénaires liées à l’histoire berbère dans la région maghrébine. Et c’est sans doute ce poids historique qui donne une valeur quasi-sacrée au couscous dont la présence est immanquable dans les grands moments de la vie individuelle ou collective. Naissance, mariage, ou décès : le couscous consacre ces moments essentiels et en amplifie la portée.
On n’y pense peut-être pas, mais le couscous, avec la musique traditionnelle andalouse, est la preuve vivante que le Maghreb a toujours été un, et que, bien avant que les dirigeants des Etats nationaux ne formulent des projets d’unification restés d’ailleurs en l’état, les habitants de cette vaste région étaient déjà unis sous le même ciel, appréciaient le même couscous et fredonnaient le même malouf. Bien sûr avec quelques nuances différentes ici et là, mais la base reste la même : semoule de blé, légumes, épices et viandes (rouge ou poulet) ou poisson. Les historiens évoquent l’introduction du couscous dans l’Espagne andalouse par les Almohades, dynastie berbère du 13ième siècle. Répandu dans toute la région ibérique, il arrivera bientôt en France où le premier écrivain à en parler sous le nom de couscousou, n’est autre que le grand Rabelais (16ième siècle). Quatre cents ans après, dans les tranchées de la première guerre mondiale, les soldats maghrébins feront familiariser les Français avec ce repas devenu, l’immigration aidant, un repas français à part entière, devançant largement les vieilles recettes de l’hexagone. Depuis, d’ailleurs, la préparation du couscous est devenue une affaire d’hommes qui savent mettre la main à la pâte lors des grandes occasions.
Il y a dans la région maghrébine autant de couscous que de pays, que de régions, que de saisons.
En Tunisie le couscous prend la couleur de son environnement. Il est moins garni en légumes, mais plus généreux en viandes dans les régions désertiques. Sur la côte, il s’enrichit de poisson et de légumineuses. A Tunis le couscous s’affine et la quantité de semoule diminue pour laisser dominer les légumes en toute saison, y compris en automne où le coing peut trôner sur l’assiette donnant un goût aigre doux à la semoule parfumé et dorée.
C’est pourtant dans la région du Nord-Ouest que le vieux couscous retrouve ses marques originales avec un penchant déclaré à accueillir les dons de la nature. Au printemps, saison où dame nature offre tous ses trésors, il n’est pas rare de tomber sur un couscous qui honore cette générosité de la belle saison en mettant quelques herbes sauvages dans le ragoût servant à irriguer le couscous.
Au Kef le couscous prend au printemps une déclinaison douce sous l’effet du mélange des fruits secs, du lait et de l’agneau parfumé aux herbes de la montagne. Vous l’aurez deviné c’est le fameux Borzguen, mis en avant pour accueillir l’arrivé du beau temps et rappelant ainsi sans doute une tradition propitiatoire qui remonte à la nuit des temps. La même tradition est observée avec moins d’exubérance dans la région du Cap Bon.
Il y a des couscous comme il y a des femmes : épicées, familières, inoubliables ou ordinaires.
Mais le meilleur couscous pour moi restera celui de ma mère. Pas vous ?
Pour l’histoire, le couscous est inscrit au patrimoine culturel et immatériel de l’humanité.
Youssef B.Mesaoud