Non, le président n’a pas répondu à un appel du peuple en s’arrogeant tous les pouvoirs: les manifestations du week-end n’étaient pas très nombreuses et n’avertissaient pas d’un péril « imminent ». Oui, Kais Saïed a bel et bien fait un coup d’État en interprétant à sa manière excessive l’article 80 de la constitution. Et ce tout en considérant que les déboires et la décadence du pays sont dus en grande partie à Ennahdha et à Rached Ghannouchi qui n’a jamais renoncé à son projet de République islamiste. Oui, le danger est l’islamisme, mais ce coup de force risque bien d’en ajouter un autre et de ne pas écarter les périls contre lesquels Kais Saied prétend lutter mais qu’il ne nomme pas clairement. Sauver le pays, sauver l’Etat, ce sont, pour l’instant, des mots qui ne cachent pas l’enjeu réel : le pouvoir. Le pays est fatigué, lassé, désemparé, frustré par la comédie de ses élus et des trois pouvoirs depuis les élections de 2019. Chacun interprète la constitution à son avantage et empêche toute avancée, tout fonctionnement normal de la démocratie. Blocage absolu, coupable, paralysant, provoquant une descente aux enfers que subit chacune et chacun.
Le « putschiste » Saïed a soigneusement préparé son affaire et s’est assuré le soutien, au moins attentiste, de l’armée, des services sécuritaires et aussi de l’UGTT où Taboubi avait su manœuvrer pour garder son leadership. Une entente entre deux personnes avides de pouvoir?
Kais Saied a pris un pari, mais a-t-il un plan? Que va-t-il faire de ses trente jours? Demandera-t-il à l’armée d’intimider d’éventuels manifestants, voire de tirer? Il est impératif qu’il aille vite car il a cassé encore plus nettement le pays en deux. Il n’a pas de baguette magique, ni contre le covid -qui ne peut être le déclencheur de sa démarche- ni contre la crise économique et sociale, ni contre le vide des caisses de l’Etat. Si l’on peut dire que stratégiquement, le moment n’est pas mal choisi car Ennahdha est en perte de vitesse avec un Ghannouchi contesté et à la santé fragile, le président est coupable d’avoir refusé le dialogue -Taboubi va-t-il l’imposer?- et aggravé la crise par tous ses refus et exigences. Au lieu de faire un coup d’État, il aurait pu parler, expliquer, proposer, convaincre qu’il était l’homme de la situation. Élu le 23 octobre 2019, le Tunisois reste un inconnu. Presque deux ans de perdu! A ce jour, plus d’inquiétudes que d’espoirs.