« Sans nous, la droite formera un gouvernement majoritaire. Pour les stopper, nous avons besoin de vous. Votre vote peut changer la donne ». Ahmed Tibi, un des leaders de Hadash-Taal, la liste unifiée arabe, s’adresse ainsi, en hébreu, aux Juifs de gauche qui ne veulent pas d’un retour de Netanyahou. Plus direct, le Premier ministre sortant Yair Lapid exhorte les électeurs arabes : « Vous votez pour vos vies, si vous ne votez pas, ce qui a été accordé l’année dernière, sera retiré ». Oui, sans le vote arabe, le Likoud et ses alliés d’extrême droite pourraient bien obtenir la majorité absolue de 61 députés nécessaire pour former un gouvernement.
Dans cette cinquième élection en moins de quatre ans, aussi indécise que le précédentes, les Arabes d’Israël, 20% de la population, ont un rôle charnière, pratiquement faiseurs rois. Mais ils abordent le scrutin désunis. Alors qu’ensemble, ils avaient eu 15 sièges en 2020, les trois partis du vote de ce mardi risquent de ne pas obtenir les 3,25% des voix qui les feraient entrer à la Knesset. Le parti islamiste Ra’am qui était dans la coalition gouvernementale est d’accord pour une nouvelle participation, ce que refuse toujours Hadash-Taal. Quant au nationaliste Balad, il ne devrait pas franchir le seuil des 3,25%.
Yair Lapid a besoin des élus arabes s’il veut former une coalition car on ne lui accorde sans eux que 56 sièges. Il a promis d’amender la loi sur l’Etat nation qui, telle qu’elle est, est, selon lui, « une insulte aux citoyens israéliens non juifs ». Il leur garantira l’égalité civile, la dignité humaine et la liberté. Et bien sûr des crédits pour lutter contre la criminalité et construire des logements. Mansour Abbas, le dirigeant de Ra’am explique aux électeurs que c’est son action qui a permis d’obtenir des milliards d’euros en faveur des zones arabes. Il estime que les Arabes israéliens sont préoccupés par la criminalité et les difficultés économiques, pas par le conflit israélo-palestinien. Ce qui lui vaut des critiques des autres formations arabes et empêchent l’union. Chacun joue sa propre carte…
Ces divisions arrangent « Bibi ». Si, naguère, il cherchait le vote arabe, il traite cette fois les députés arabes de « corrompus ». Si l’électeur arabe vote moins – mais on prévoit un sursaut – cela avantagera le Likoud et ses alliés. D’ailleurs, Netanyahou ne peut revenir au pouvoir qu’avec l’appui de l’extrême droite, de Sionisme religieux dont la figure de proue, Itamar Ben Gvir, déteste les Arabes qu’il faut tous, envoyer en Jordanie. A Jérusalem Est, il n’hésite pas à brandir son arme pour montrer aux Palestiniens qui est le patron…
Cet Israël qui vote aujourd’hui dérive vers l’extrême droite, une extrême droite que l’ancien Premier ministre a favorisé, poussé car il en a un besoin absolu. Ne veut-elle pas soumettre la justice au Parlement ? Une occasion pour « Bibi », toujours en procès pour fraude et corruption, de se parer d’immunité.
Ce scrutin reflète et accentue les divisions de l’Etat hébreu. Pas entre droite et gauche, la droite est largement majoritaire, mais entre pro et anti Netanyahou. Une société éclatée, fragilisée qui pourrait s’interroger sur sa démocratie. Elle est réelle mais n’accorde-t-elle pas trop d’importance aux petits partis indispensables pour former un gouvernement. Ils en jouent pour défendre leurs intérêts… Tout comme Benjamin Netanyahou. Tant qu’il sera dans l’arène politique, Israël manquera de stabilité et de cohérence.