Dans n’importe quel autre pays, un président réélu au second tour avec 52% des suffrages, alors que pendant 20 ans, il n’avait eu aucun rival sérieux, serait considéré comme affaibli. Pas en Turquie. Recep Tayyip Erdogan détient tous les leviers du pouvoir, a mis la main sur toutes les institutions dont la presse, la police, l’armée et la justice. Le Parlement renouvelé le 14 mai , plus nationaliste et d’extrême droite que jamais, lui est également acquis. Le « reis » peut régner sans partage, sans se soucier de l’opposition.
Mais il est aussi à la tête d’un pays clivé, profondément divisé. Près de la moitié du pays ne veut plus de lui, de son autoritarisme, du népotisme et de la corruption qui n’ont cessé de croître depuis vingt ans. La crise économique frappe durement une majorité qui n’a plus les moyens de vivre décemment. Un marasme que sa politique monétaire a provoqué. Le sultan a beaucoup promis durant la campagne électorale – hausse des salaires et des pensions, logements pour les sinistrés, un mois de gaz gratuit… Va-t-il choisir la voie de l’apaisement pour rassembler son peuple ? En aura-t-il les moyens ? Les caisses sont vides, il a dépensé 25 milliards de dollars pour soutenir la livre turque qui s’effondre et les réserves en devises sont dans le rouge. Une nouvelle dévaluation apparaît inéluctable… Les lendemains risquent d’être très difficiles pour une population déjà en souffrance.
Sans changer de politique économique, Erdogan aura du mal à redresser son pays. Est-ce son but ? Pas sûr, même s’il est viscéralement attaché à la grandeur, à la puissance de la Turquie qui doit porter la civilisation dominante de demain, selon ses dires. L’ambition d’Erdogan est de dépasser Atatürk et sa république laïque, il se voit le père d’une nouvelle Turquie conservatrice islamique et nationaliste. Le rêve d’un autre empire ottoman, le souvenir du temps où La Mecque avait reconnu la souveraineté ottomane…
Les premiers discours montrent que le « reis » va plutôt opter pour la continuité à l’intérieur comme à l’extérieur. Il sait que sa Turquie occupe une position clé, géographique et géostratégique. Il est habile et n’hésite pas à recourir au chantage. Membre de l’Otan, il n’aime pas l’Occident et préfère les autocraties ; il fournit des drones à l’Ukraine mais n’applique aucune sanction à la Russie avec laquelle il commerce de plus en plus. Il joue sur tous les tableaux. Un seul impératif : que cela lui profite, que la Turquie soit gagnante, incontournable.
Jusqu’à présent, il faut bien reconnaître qu’il réussit. Une preuve : tous les dirigeants du monde se sont hâtés de le féliciter, même avec des nuances et des réserves.
Deux questions : la situation économique, si elle dégénérait et provoquait des troubles, permettra-t-elle à Erdogan de maintenir son cap ? Comment va-t-il ? S’il est invincible politiquement, sa santé serait fragile. Dimanche, il est apparu diminué. Il y a quelques mois, on se demandait s’il finirait son mandat et on avançait qu’il tenait le coup grâce aux médicaments.