
Par Sayda BEN ZINEB
Quelques jours seulement nous séparent du finissage de l’exposition « Prestige » organisée par la Fondation Kamel Lazaar, et signée par la jeune artiste tuniso-finlandaise de haute volée, Dora Dalila Cheffi. En résidence à la Station d’art B7L9, (Bhar Lazreg) depuis une année, elle vient de présenter « Prestige », une plongée dans l’univers du mariage en Tunisie. Pour développer son concept, elle a sillonné le pays, assisté à de nombreuses cérémonies de mariage et convoqué sa propre mémoire. Grâce au soutien de la Fondation Kamel Lazaar, l’exposition a pu bénéficier d’un programme de rencontres avec le public et les médias afin d’échanger et en savoir plus sur le processus de création.
Dans son exposition, l’artiste a recours à la peinture et la vidéo, et aborde le mariage non pas comme une institution, mais à travers une esthétique, des sonorités, des images et des réminiscences. Elle parvient à restituer en se l’appropriant, tout un univers qui la relie à ses propres souvenirs d’enfance des noces auxquelles elle a pu assister au fil des fêtes familiales. « Prestige » pose ainsi un regard artistique sur des réalités profondes, une démarche personnelle s’emparant d’un pan entier de la tradition tunisienne, une rencontre émerveillée et passionnée.
Née à Helsinki (d’un père tunisien et d’une mère finlandaise), Dora Dalila vit et travaille à Tunis. Elle est titulaire d’une licence de l’école d’art, de design et d’architecture de l’université d’Aalto. Sa première exposition personnelle, « Bitter Oranges », a eu lieu à Tunis en février 2020. Ses œuvres ont fait partie d’expositions collectives avec la Galerie Selma Feriani et The Other Space de Andersen’s Contemporary, et ont été présentées en ligne avec Taymour Grahne Projects. Ses œuvres font partie de la collection de la Fondation Kamel Lazaar, de la collection permanente du Musée d’art contemporain Al Maaden (MACAAL), et de la collection Beth Rudin DeWoody. Elle a été sélectionnée pour prendre part à l’exposition Nuoret 2023 (Jeunes artistes) à Helsinki en Finlande.
Et l’artiste d’expliquer : « A 30 ans (en 2020), j’ai commencé à comprendre ce que je voulais faire de ma vie. Concentrée sur mes objectifs professionnels, ma réflexion tournait alors autour du potentiel existant. Toutefois, une question se reposait sans cesse et revenait dans les interrogations des membres proches et lointains de ma famille : « Quand vas-tu te marier ? ».
A vrai dire et depuis mon enfance, j’ai été fascinée par le mariage qui représentait la principale fête familiale à laquelle j’étais invitée lors de mes visites en Tunisie. Plus qu’un chemin de vie, c’était le sens de la cérémonie et sa théâtralité qui m’intriguaient le plus : l’or, les maquillages outranciers, les haut-parleurs, les coiffures, les trônes et les tapis rouges. Et puis, ce moment précieux quand les nouveaux mariés sont assis ensemble, oscillant entre une vie de bonheur et un glissement vers l‘inconnu… »
« Je pense que pour beaucoup de femmes, explique t -elle, le mariage marque souvent le début d’une autoréflexion durable et aussi, un examen de son propre apport à la société. Cette exposition est donc une réinterprétation du concept de mariage. Plutôt que l’aborder en tant qu’institution, « Prestige » envisage la pratique à travers ses divers éléments : esthétiques, sons, mouvements, tradition et dépouille les rituels jusqu’à leur plus simple expression… »
Pour donner le jour à ce projet, l’artiste a passé l’essentiel de l’année écoulée, (celle au cours de laquelle les fêtes de mariage étaient quasiment illégales suite à la pandémie), à réaliser des travaux de recherche. « Cela m’a menée à effectuer, rappelle t -elle, plusieurs pérégrinations à travers les régions, à assister à de nombreux mariages pour lesquels j’étais presque toujours un outsider n’ayant ni liens, ni obligations familiales. C’est la seule manière de faire qui me semblait avoir du sens. C’était aussi le seul moyen qui pouvait me permettre de ressentir la beauté de la tradition et du cérémonial, sans être encombrée par mes propres attentes ou celles qui pouvaient être placées en moi… ».
Ce qui fait tout l’intérêt et l’attrait de ce projet, c’est surtout la qualité artistique de l’ensemble des œuvres présentées… Une exposition qui mérite vraiment le détour.Sayda BEN ZINEB