Cela a commencé par le jetable. Serviettes, assiettes, cuillères, fourchettes, rasoirs et bien d’autres ustensiles sont ainsi passés d’objets faits pour durer à des outils à usage unique. Bien que l’esthétique ait été sacrifiée au profit de bidules informes, les changements introduits ont été bien accueillis pour des raisons d’ordre pratique. Puis il y a eu l’obsolescence programmée. Véhicules, machines à laver, lave-vaisselle, réfrigérateurs ainsi que d’autres engins ont subi le principe de la durée de vie prédéfinie. Même peu utilisés et bien entretenus, ils n’échappent pas à la défectuosité décidée d’avance par le constructeur ? Cette loi s’est imposée à tous les consommateurs au nom de la viabilité économique des entreprises.
Puis il y a eu l’informatique. Ah l’informatique ! Parmi toutes les possibilités que le traitement automatique de l’information nous a offertes figure en bonne place celle de pouvoir effacer une lettre, un mot, une phrase ou tout un texte sans parler des croquis, des images et des photos. La machine s’est ainsi dotée d’une mémoire phénoménale qui a permis à l’homme de se débarrasser de tout ce qui encombre son cerveau. L’amnésie libératrice a été mille fois plus forte que celle procurée par l’alcool.
Puis il y a eu la téléréalité. Une plage horaire très importante a été offerte à la transmission en direct et en différé des faits et gestes de personnes jusque-là inconnues qui se trouvent réunies dans un loft et qui sont prêtes à faire n’importe quoi pour tromper l’ennui et combattre le désœuvrement sous l’œil vigilant des caméras de surveillance. Il n’en fallait pas plus pour éveiller l’instinct de voyeurisme chez des millions de spectateurs. Du jour au lendemain, des hommes et des femmes venus de nulle part sont devenus des stars. Mais du jour au lendemain, ils ont également disparu des radars, puisque plus personne n’en parle. Les stars d’un jour n’étaient pas les stars de toujours. La célébrité éphémère est désormais de mise.
Puis il y a eu les réseaux sociaux et les amis virtuels qu’on peut se faire sans se connaître. Une nouvelle relation à l’amitié s’est donc établie. Tes amis, tu peux à n’importe quel moment les supprimer, les effacer sans que cela prête à conséquence. La jetabilité a donc accédé à un niveau supérieur. Après les objets et les engins envoyés à la déchèterie, il est donc loisible à n’importe qui de faire subir le même sort à des êtres humains.
« Vanité, vanité des vanités, tout est vanité ! »