Vers où le président Kaïs Saïed entraîne-t-il la Tunisie ? La question est à nouveau posée par la presse internationale, notamment française. La condamnation de journalistes critiques du pouvoir, le passage -pas clairement établi d’avions russes à Djerba- , la présence du président à Téhéran aux obsèques de Raïssi – seulement deux autres présidents-, la dénonciation constante d’ingérences et la réaffirmation de souveraineté totale, l’alignement de plus en plus marqué sur l’Algérie interrogent.
Certes, Kaïs Saïed a le droit de conclure des accords avec qui il veut « sur un pied d’égalité », mais il semble, au plan idéologique, avoir choisi son camp, celui de la Russie, de la Chine et donc de l’Iran qui veulent renverser l’ordre mondial établi en 1945. Il ne cesse de fustiger les « diktats de l’Occident qui resterait colonialiste alors que lui revendique une souveraineté totale, une Tunisie tunisienne…
Sous le titre « Le président de la République a transformé le pays qui l’avait démocratiquement élu en une prison à ciel ouvert », Benoît Delmas écrit dans sa Lettre du Maghreb publiée par Le Point : « Le sarcophage s’est refermé sur les libertés de pensée, de parole, d’écriture. L’aléatoire institué par le pouvoir et appliqué par ses polices est désormais la règle. On peut être arrêté, mis en garde à vue et placé sous mandat de dépôt sans que son dossier contienne la moindre preuve. En Tunisie, on vit au rythme des colères et des foucades de Kaïs Saïed ainsi que selon les desiderata de celui-ci. Et les forces de l’ordre opèrent avec un zèle confondant ».
« Kaïs Saïed impose une nouvelle dictature au nom de la lutte contre la corruption, la « guerre » contre « ceux qui complotent dans les bars, les restaurants, avec les étrangers » – une obsession chez lui, qui considère la fréquentation des bars et des restaurants comme un signe de mauvaise vie ».
« Au quotidien, les Tunisiens manquent de tout » lit-on dans L’Express. « Sucre, huile, semoule ou lait sont souvent introuvables sur les étals des supermarchés, malgré la « guerre contre les spéculateurs » que le chef de l’Etat prétend mener, certain que ces pénuries sont un « acte prémédité ».
« Kaïs Saïed incarne un autoritarisme identitaire, à l’image de son projet : une Tunisie purement tunisienne, arabo-musulmane, où tout ce qui vient de l’étranger, de l’Occident en particulier, est vu avec suspicion, observe Vincent Geissler, chercheur au CNRS interrogé par le magazine.
Comme d’autres médias, L’Express cite les mots favoris du président tunisien : complot, corruption, crime, manigances, traîtres, espions. Lui, il fait tout bien comme le veut le peuple qu’il sert, il respecte la constitution qui accorde à tout le monde le droit de penser ce qu’il veut, de s’exprimer librement…
Le Monde revient sur le choix présidentiel d’aller à Téhéran : « A l’heure où Kaïs Saïed entretient des relations crispées avec les Occidentaux et esquisse un discret rapprochement avec la Russie, cette visite à Téhéran ne manquera pas d’alimenter des interrogations sur le positionnement stratégique de la Tunisie ». Le quotidien rappelle l’entretien avec Raïssi en mars à Alger et s’interroge sur l’influence de Naoufel Saïed, pro-Téhéran depuis toujours et grand dénonciateur de complots. « Aussi le tropisme iranien de Kaïs Saïed, s’il devait se confirmer, ne surgirait-il pas de nulle part » conclut Le Monde.