Disco Maghreb, label mythique du Raï des années 80-90, est en passe de devenir le tube de l’été grâce à la remasterisation du titre par l’artiste français le plus écouté dans le monde, le dénommé DJ Snake.
William Grigahcine, alias DJ Snake, est incontestablement l’un des meilleurs DJ dans le monde. Réclamé par les plus grands, il a notamment collaboré avec Ozuna, Selena Gomez, Tyga, Major Lazer, Kanye West, Lady Gaga, Skrillex, Lil Jon et bien d’autres.
En seulement 9 jours on comptait plus d’un milliards de streams sur tiktok et le clip cumule actuellement plus de 45 millions de vues sur youtube, un succès relatif pour l’artiste habitué aux milliards de vues sur cette plateforme, mais peut être la conséquence d’un choix culturel? identitaire? ou éminemment politique?
Mais tout d’abord, le clip, ce chef-d’œuvre, sorti le 31 mai dernier, a été tourné à Oran et à Alger, dans le quartier populaire de Climat de France à l’histoire coloniale chargée. Entre tradition et modernité, la vidéo nous embarque dans un magasin de k7 algérien avant de faire un tour dans un mariage animé, sur les rochers escarpés, dans une course de dromadaires ou encore sur les routes, pour la scène la plus lyrique du clip, au milieu de jeunes Algériens en mobylettes, chaussés de Nike, de la combinaison claquettes adidas- chaussettes, vers peut être un eldorado outre-mer?
Le raï est au cœur de ce tube qui mêle musique électronique et sonorités orientales . Le nom, « Disco Maghreb », fait allusion à la maison de disques en déclin (et boutique fermée depuis 2005) du même nom située à Oran et gérée par le légendaire Boualem Benhaoua (alias Boualem Disco Maghreb) qu’on aperçoit dans le fameux clip. Cet homme a contribué à la popularité du raï dans les années 80 en produisant des artistes « Cheb ».
À la fin du clip de DJ Snake, c’est d’ailleurs la voix du chanteur algérien Cheb Khaled qu’on entend. Et comme, pour finir en beauté son hommage, le DJ et producteur a dévoilé la pochette de son single qui reprend les codes des K7 de raï des années 80 et 90.
Une revendication donc affichée des origines algériennes du DJ français. Un titre d’ailleurs, où nous le retrouvons pour la première fois seul, comme pour raconter une histoire? Mais alors son histoire.
Ainsi, nous pourrions penser que » Disco Maghreb » n’est qu’un nouveau titre à succès du très avisé producteur. Le groupe de rap PNL l’avait précédemment fait avec son titre « Tahia » (, « vive l’algérie ») au lendemain de la victoire algérienne en CAN 2019. Ca serait ignorer naïvement les événements de cette année.
En effet, les élections françaises, qui ont reconduit Emmanuel Macron au pouvoir, ont été pour les populations issues de l’immigration, une source d’angoisse et vécue comme une déclaration de rejet par la France. Sans cesse pointé du doigt, par le Président lui-même et son concept de « séparatisme », mais restant toujours plus édulcoré qu’une Marine le Pen et sa pénalisation du port du voile ou encore un Eric Zemmour pour une ré émigration…De quoi s’assurer la nécessité d’une terre d’accueil.
Une année aussi pleine de tensions entre la France et l’Algérie, le président français avait déclenché la colère d’Alger après des propos rapportés par le journal français Le Monde accusant le système « politico-militaire » algérien d’entretenir une « rente mémorielle » en servant à son peuple une « histoire officielle » qui « ne s’appuie pas sur des vérités ». Affirmant aussi que « la construction de l’Algérie comme nation est un phénomène à regarder. Est-ce qu’il y avait une nation algérienne avant la colonisation française? Ça, c’est la question (…) » La réaction algérienne ne s’était pas fait attendre et avait rappelé son ambassadeur de Paris, et rompu tout dialogue avec son aigre-doux voisin.
Des tensions qui reposent toujours sur cette même Histoire: la guerre d’Algérie… Encore tabou, passionnée et épidermique. Mais cette année a été celle de l’ouverture des archives, qui commencent à révéler ses secrets comme le débat tenu à l’Assemblée française sur les « faits d’armes » du général Bugeaud… Aujourd’hui figure de barbe bleue en Algérie.
Mais alors que l’on pensait, par la transparence, le travail historique, le temps aussi aidant, apaisé les stigmates de la Guerre, un discours bouleverse toutes ces bonnes intentions.
La première séance de la nouvelle législature de l’Assemblée nationale, présidée par le doyen du Rassemblement National, José Gonzalez . Pied-noir né à Oran, a évoqué sa terre natale à laquelle il a été « arraché« . « J’ai laissé là-bas une partie de ma France« , à l’indépendance de l’Algérie en 1962, a-t-il affirmé, s’interrompant un instant sous le coup de son émotion.
Si le député rappelle que ce sentiment est personnel, le lieu, l’Assemblée Nationale, annule son caractère anecdotique et le politise. Il sème le doute sur une France souvent critiquée pour sa « France-Afrique », son ingérence en Libye en 2011… et un relent de nostalgie sur une Algérie française… à la veille du 60 anniversaire de l’Indépendance algérienne.
Algerian suspects with hands up are arrested shortly after a car bomb exploded in a street of Constantine on August 24, 1955, during the Algerian war, after the massacre of Philippeville (Skikda). (Photo by Pierre BONNIN / AFP) Caption: Prod DB © Universal / DR LA BATAILLE D’ALGER (LA BATTAGLIA DI ALGERI) de Gillo Pontecorvo 1971 ALG / ITA mitraillette, guerrilla urbaine, resistance passive Sep. 16, 1960 – Military presence in Algeria protecting farmers in the fields (Credit Image: © Keystone Pictures USA/ZUMAPRESS.com) (MaxPPP TagID: maxanciennes068742.jpg) [Photo via MaxPPP] French troops prepare to enter the maquis in the region of Tlemcen Nedromah on April 27, 1956 during military operations, during the Algerian War. (Photo by Jacques GREVIN / AFP) (FILES) In this file photo taken on May 13, 1958 young people waving French flags roam the streets of Algiers on their way to the Forum square and the government palace stormed by demonstrators, during the Algerian war. – The French Minister of Culture Roselyne Bachelot announced on December 10, 2021 the forthcoming opening of archives on « judicial investigations » of the Algerian War (1954-1962), amid tension in the Franco-Algerian relationship. (Photo by – / AFP)
Autant d’événements, qui auront sans nul doute, influencé l’identité de cette musique que Dj Snake aura voulu « comme un pont entre différentes générations et origines, reliant l’Afrique du Nord, le monde arabe et au-delà… il s’agit d’une lettre d’amour à mon peuple ».
Oui, une déclaration d’amour mais aussi de liberté. Le leitmotiv de cette vidéo ? Les scènes de transe touchant enfants, adolescents , femmes, seniors mais surtout l’artiste lui-même. A nos regards émerveillés, s’offre une promesse de libération des vieux démons de l’Histoire et d’une Algérie au futur prometteur.