L’étalage du linge de la classe politique se poursuit avec une légèreté insoutenable, une insouciance assassine. Les relations presque rompues entre le Président de la république et le chef de gouvernement et l’absence de communication et de concertation, en cette période cruciale que traverse le pays, poussent à un questionnement lancinant.
Choisi envers et contre tous par Kaies Saied, Hichem Méchichi, a été rapidement encouragé à marquer ses distances et à ne pas rester sous les ordres de celui qui l’a fait sortir de l’anonymat.
Voir aujourd’hui, les deux plus hautes personnalités de l’Etat, dont la destinée des tunisiens leur incombe dans cette période de fortes turbulences, de grands périls, n’étonne guère.
Qu’importe la situation qui prévaut dans le pays, le grand malaise qui s’installe, le basculement de la Tunisie à tout moment dans des zones rouges, où tous les remèdes se révélaient inefficaces au regard du stade avancé du mal qui ronge les institutions de cette jeune démocratie !
Ce qui interloque, c’est de voir une sorte d’insouciance générale s’installer et une acclimatation de nos dirigeants avec les situations de statu quo. Hormis la crise institutionnelle qui perdure dans le sommet de l’État avec son lot de bisbilles et de querelles, on constate non sans amertume cette descente infernale dans les abysses du politiquement incorrect.
En effet, au moment où l’on vient de découvrir, médusés, les chiffres apocalyptiques de 2020, notamment le dangereux virage vers le rouge de tous indicateurs socio-économiques, nos dirigeants restent, étrangement, focalisés sur le différend qui continue à opposer le Président Kaies Saied à Hichem Mechichi. chef de gouvernement, qui a préféré rejoindre le camp des adversaires de son bienfaiteur.
Dans ce brouhaha général où les spéculations vont dans tous les sens et frisent l’innommable, où des alliances obéissent à des géométries variables, où le jeu de positionnement bat son plein et où les organisations nationales montent au créneau à l’effet de rééditer le scénario de 2012 à travers un hypothétique dialogue national, on se soucie comme une guigne de l’économie et du social. De l’avenir du pays, de sa stabilité et de la pérennité des institutions.
Pour l’heure, ce qui compte le plus, c’est de poursuivre cette cavalcade périlleuse, cette guerre contre des chimères, ce bras de fer entre des pouvoirs publics obnubilés par tout ce qui est insignifiant pour les Tunisiens.
Constater que la croissance a fléchi de 8,8% n’interpelle plus. Constater que les rangs des chômeurs se sont allongés, n’émeut plus. Voir que le pays frôle la banqueroute et se doit, à chaque mois, trouver des solutions à l’emporte-pièce pour pouvoir honorer ses engagements, ne fait plus peur. Au moment où le pays s’enfonce, chaque jour un peu plus, dans les terrains marécageux des luttes politiciennes, la priorité qui anime nos responsables se trouve ailleurs. Ils s’évertuent à user de toutes les manœuvres, se tendre des pièges, perdurer la crise et laisser les Tunisiens dans le doute et l’expectative. Ils nous forcent à suivre l’épilogue d’un mauvais feuilleton et à apprécier les artifices qu’ils adoptent pour faire durer le suspense, le statu quo.
Avec tout ce qui se passe on est conforté à l’évidence, d’une Tunisie plus que jamais divisée en deux camps inconciliables. Les pro-Saied qui l’encouragent à aller de l’avant pour pousser Mechichi à la porte de sortie. Les pro-Mechichi qui le haranguent à défier son chef et à aller jusqu’au bout de sa logique suicidaire.
Cette bataille inédite oppose, non pas adversaires politiques, mais plutôt ceux qui représentent les institutions de l’Etat que les intérêts politiciens ont aveuglé et détourné de leur mission essentielle.
Pourtant, dans une configuration normale, la situation de la Tunisie aurait dû susciter un élan de solidarité, l’union de toutes les forces politiques sociales et des élites pour sauver le bateau d’un chavirage inévitable.
Chez nous aucun sursaut d’orgueil, aucune réaction collective pour faire un bon pilotage, concevoir des plans, présenter des alternatives ou susciter la solidarité de la communauté internationale. Tout en restant sourds au cri de désespoir des uns et aux mises en garde des autres, on préfère aller droit au mur. Bien au contraire, on persiste dans l’erreur.
On s’obstine à poursuivre une guerre intestine qui provoque railleries moqueries à l’extérieur, plus que toute autre chose, et qui nous conforte dans l’idée de l’inaptitude de nos dirigeants à assumer leurs devoirs et les engagements qui sont à l’origine de la confiance que les Tunisiens a placée en eux.