Il promet beaucoup, ne tient pas toujours, mais le charismatique Narendra Modi reste très populaire -75 à 78% d’opinions favorables- et devrait conserver son poste de Premier ministre à l’issue des élections législatives qui se déroulent jusqu’en juin. Faire voter près d’un milliard de personnes, cela prend du temps…
En 2013, quand, Premier ministre du Gujarat, il a été porté à la présidence du BJP, le Bharatiya Janata Party, il promettait « l’avènement des jours heureux » ; en 2019, il annonçait que « l’heure de l’Inde est venue » ; cette année, il promet de faire de son pays la troisième puissance économique mondiale en 2030 et lance « l’assaut final et décisif contre la pauvreté ». Il résume et argumente : « En 2014, j’ai apporté de l’espoir, en 2019 de la confiance et en 2024 des garanties ». Par exemple, celle que l’Inde, pour son centenaire en 2047, sera un pays développé.
Narendra Modi rêve grand pour son pays et a entrepris de le moderniser dès qu’il a eu des responsabilités politiques. En 2006, il se tourne vers les Etats-Unis mais Washington lui refuse le visa en raison de son rôle dans les émeutes raciales de 2002 dans son Etat du Gujarat qui ont fait environ 2000 morts. Il se rend alors en Chine et à Singapour pour voir et apprendre. Le dirigeant singapourien Lee Kuan Yew deviendra son mentor économique et il engagera son pays sur la voie du libéralisme économique et misera beaucoup sur le numérique. Il cultivera aussi son image avec le concours de sociétés américaines.
De 10e économique du monde en 2014, il hissera l’Inde à la cinquième place et en fera un grand dans plusieurs domaines, de l’informatique à la conquête de l’espace – un robot sur la lune en août dernier. Considérée comme un contrepoids à la Chine, l’Inde de Modi à la stratégie multipolaire est courtisée par tous. Il est aujourd’hui incontournable. Membre du G20 comme des BRICS, il milite pour un nouvel ordre mondial et fait entendre partout sa voix.
Avec sa barbe blanche, son sourire et sa kurta, la chemise traditionnelle, Narendra Modi apparaît comme un sage dispensant la bonne parole et faisant le bien. « Vous êtes ma famille », dit-il au 1,4 milliard d’Indiens. « La jeunesse est ma famille et je travaille jour et nuit pour lui assurer un avenir ». Un dur labeur qui ne porte pas ses fruits pour tout le monde. Les grandes sociétés sont chouchoutées par le Premier ministre qui n’hésite pas à changer les lois en leur faveur, 200 patrons sont milliardaires. Oui, mais si 5 millions d’emplois sont créés par an, 12 millions de jeunes arrivent chaque année sur le marché du travail et les diplômés connaissent davantage le chômage que les illettrés. Seuls 4% des actifs gagnent plus de 9 400 euros par an, 49% n’ont que 120 euros par mois. Et dans cette Inde , encore à 60% agricole, un agriculteur se suicide chaque heure. Les femmes ont peu accès au marché du travail et restent moins considérées même si la présidente du pays est une femme issue d’une minorité tribale, Droupadi Murmu.
Le PIB par habitant se situe aux alentours de 2 400 euros par an, le niveau de la Côte d’Ivoire. Un tiers des Indiens souffrent de sous-nutrition, un chiffre qui ne baisse plus depuis 2015. 800 millions reçoivent des aides alimentaires et sociales pour vivre. Sur les sacs de riz figure un portrait du premier ministre. Une des « garanties » Modi. Sous son règne, le PIB a augmenté de 63%. De 97% lors des dix années précédentes avec le parti du Congrès au pouvoir…
Ami des riches, il ne s’oublie pas : avec 96 Millions d’euros de mars 2023 à mars 2024, il est sans doute le dirigeant le mieux payé du monde. Sa fortune personnelle s’élèverait à 275 millions et il possèderait des intérêts dans de nombreux domaines allant de la restauration à la parfumerie.
Une cible : les musulmans
Pour certains, comme le titre L’Express de cette semaine, Narendra Modi est un prestidigitateur qui maquillerait des échecs en réussite. C’est surtout un hindouiste pur et dur, un ultranationaliste. Dans leur livre « Dans la tête de Narendra Modi », les journalistes Sophie Landrin et Guillaume Delacroix décrivent un idéologue raciste ainsi qu’un « faux génie » de l’économie qui se soucie moins de ses concitoyens qu‘il ne le prétend : le covid a fait 4,7 millions de morts et non pas les 510 000 avouées.
Sa cible depuis toujours : les musulmans qui sont quelque 200 000 millions. Il ne cesse de restreindre leurs droits et laissent les Hindous, la police et l’administration s’attaquer à eux en toute impunité. Ces derniers jours, il a répété que si le Congrès arrive au pouvoir, les musulmans pourront « s’emparer de vos bijoux de famille et de vos titres de propriété ». Pour lui, les minorités religieuses ( il y a aussi une trentaine de millions de chrétiens) ne sont que des « corps étrangers », des ”infiltrés” qui nuisent à l’Inde qu’il veut rebaptiser Bharat, nom des anciens textes hindous. Depuis des années, il réécrit l’histoire pour effacer l’empire moghol, les siècles des empereurs musulmans qui ont gouverné l’Inde de 1526 à 1857.
S’il obtient quatre cinquièmes des 543 sièges de députés, on lui prête l’intention de modifier le code civil afin de faire des musulmans et des chrétiens des citoyens de seconde zone.
Le journaliste et auteur indien Salil Tripathi qui s’est penché sur le parcours de l’Inde de Modi, écrit : « L’Inde est-elle toujours la plus grande démocratie du monde ? C’est une bonne question. Disons que c’est un grand pays où il y a souvent des élections ». D’autres parlent d’une « autocratie électorale ».