Voilà donc une agréable surprise!
Non seulement un spectacle chorégraphique comme on n’en a pas vu depuis longtemps sur nos scènes, mais un spectacle beau en plus. Intelligent, inspiré et percutant.
Sachant que la danse contemporaine est un art libre où le corps du danseur n’est pas soumis une obligation de dessiner des figures ou des images préconçues, comme dans la danse classique ou traditionnelle, mais d’exprimer un état de choses, une situation, un ordre, en transformant, par la contrainte du mouvement imposé le corps en un instrument d’expression individuelle ou collective.
D’emblée, le spectacle Nomades, conçu et mis en scène par Thouraya Boughanmi sur un texte de Abdelhalim Messaoudi nous met dans une situation inédite entre chorégraphie et théâtre(un théâtre choregrahié ou une chorégraphie théatralisée) où l’on n’arrête pas pendant une heure de temps de voir se construire et sans cesse se déconstruire avec une même énergie des séquences de vie, des formes d’existence, des projets d’intégration d’images. On est donc en plein dans l’illusion vraie, dans le mirage, dans le nomadisme.
Par des bouts de mouvements successifs comme des touches sur une peinture expressionniste, 5 garçons et 3 filles tiennent la performance de remplir la vaste scène nue. Ils cherchent des points de contact entre eux et avec leur environnement. Comme dans un invisible désert, ils se croisent, mais ne se rencontrent pas, se rapprochent les uns des autres, mais ne forment jamais une unité organique. transformés par la force du geste et du mouvement, les corps deviennet de mystérieux signes, des lettes indéchiffrabes jetées dans l’immensité muette d’un étrange Sahara. Arrivée à son point d’intensité structural où parole(poétique), musique, mouvement corporel, lumière s’unissent pour laisser naître une image convergente, tout se disloque soudain et disparait. Seule subsiste la voix ( ou la voie) poétique qui semble venir des temps immémoriaux pour donner le sens et la direction, mais vers où? Silence, puis on recommence, mais différemment. Les corps aussi se différencient, s’éloignent de nouveau les uns des autres et se dispersent…jusqu’à se retrouver dans le même mouvement unissant et différenciant.
Avec un minimum de moyens techniques et en dépouillant la scène jusqu’à la nudité, Thouraya Boughanmi a su pousser l’expressivité corporelle de ses danseurs à un tel degré de clarté qu’on pouvait lire dans son spectacle comme dans une page écrite. C’est tout le désarroi de ces hommes et femmes perdus dans leur solitude, au cœur de leur propre monde depuis qu’ils n’en tiennent plus le secret, et apparaissent désormais désarticulés comme des marionnettes auxquelles on a coupé les ficelles. La parole, autrefois source vive et revivifiante de ces nomades, n’opère plus.
Il faut alors tout réinventer. Il faut tout réaccorder. En redonnant un sens plus nouveau au mot. Et en retrouvant une autre articulation entre le rêve et le mouvement de l’homme. Car les hommes de demain seront nomades ou ne seront pas.
Mais le « Nomades » de Boughanmi/ Messaoudi est bien plus intéressant que ce qu’il laisse voir comme un simple spectacle. Il ouvre une perspective nouvelle dans la création combinant différents langages et permettant l’intégration de nombreuses zones de créations artistiques traditionnellement différentes, offrant ainsi de nouvelles possibilités de mobilité, d’operabilité, et d’expressivité.
Une expérience qui appelle à la réflexion, et ce n’ est pas un petit mérite.