La notion d’État défaillant, telle que définie par certains experts, renvoie à l’impossibilité des autorités de garantir le fonctionnement normal des institutions publiques, de maintenir l’ordre public et l’État de droit.
Un certain nombre d’indicateurs objectifs permet de corroborer un tel diagnostic, à l’instar de l’inefficacité du gouvernement, qui se cantonne à gérer au plus pressé, la faible légitimité des autorités, la déliquescence de services publics assurant l’exercice des droits fondamentaux, la corruption généralisée et, pour boucler la boucle, une crise économique aigüe et permanente.
Ce que vit la Tunisie ces derniers temps correspond, peu ou prou, à ce schéma renseignant sur la quasi-absence de l’Etat ou, plutôt, son incapacité à assumer ses missions essentielles.
En effet, chaque semaine apporte son lot de preuves sur la déliquescence de l’Etat tunisien et de questionnements lancinants sur un Etat qui, avec la crise ouverte qui divise les trois têtes du pouvoir, se trouve paralysé et ses institutions grippées.
Il ne faut pas se perdre en conjecture pour constater, non sans résignation, un président de la république, plus que jamais, isolé et en guerre ouverte contre le chef de gouvernement, coupable à ses yeux de l’avoir trahi et de ne plus obéir à ses ordres. Celui qui est censé être rassembleur de tous les tunisiens, ne rate aucune occasion pour mettre à l’index un gouvernement désuni, dont les nouveaux membres vivent en sursis. Ils attendent d’être intronisés par le président de la république qui a annoncé publiquement son opposition à leur permettre de prêter serrement, en arguant que certains sont objet de poursuites judiciaires ou plutôt de soupçons de corruption et soutenant que le remaniement opéré est entaché d’irrégularités.
En attendant un improbable dénouement, le pays aux abois est laissé à l’abandon. Ses intérêts sont ignorés et les différents acteurs politiques se livrent, dans une sorte d’insoutenable légèreté, à régler leurs comptes politiques. Que valent la santé des tunisiens, le supplice des pauvres, le désarroi de ceux qui végètent dans la précarité, le désespoir qui habite les jeunes ou les régions ? Rien ou presque, dans la mesure où la guerre des tranchées se poursuit inlassablement entre les acteurs politiques et les forces sociales dans une quasi indifférence. Dans la foulée, la lutte contre le chômage, l’engagement des réformes, le sauvetage du pays d’une banqueroute certaine… ne raisonnent pas fort, n’interpellent pas outre mesure ceux qui nous gouvernent. Ces dossiers chauds ne semblent mobiliser qu’une infime minorité, de candides qui daignent encore croire à l’intérêt public dans cette période où le brigandage prime sur toute autre chose.
Outre le désamour déclaré entre le président de la république et Rached Ghannouchi, l’image dominante que renvoie l’Assemblée des Représentants du Peuple, est désolante et renseigne sur le dérapage incontrôlé du débat dans cet hémicycle, devenu une arène de combats fratricides et de violence inouïe. Une guerre de tous contre tous, qui paralyse depuis des mois le parlement où se trament des combines plus que ne se conçoit des projets, où prévaut les invectives et l’échange d’accusation, plutôt qu’un débat serein et constructif.
Outre la paralysie c’est l’inertie qui laisse dubitatif, en l’absence de parties qui osent assumer leurs responsabilités, arrêter cette descente aux abysses de la médiocrité et de l’infiniment insignifiant.
Un état failli, enfin, parce que ceux qui sont censés être les gardiens de la république, ne reculent pas à fouler du pays toutes les valeurs et à franchir toutes les lignes. Le cas de la manifestation des forces de l’ordre à Sfax, le 1 février 2021, est symptomatique. Un signal grave de l’impuissance de l’état et de son incapacité à sauver même les apparences, à appliquer la loi et à faire prévaloir le droit.
Le discours enflammé prononcé par le secrétaire général de l’UGTT le 2 février, est venu compléter cette cacophonie. Il vient nous rappeler une évidence: la nature a horreur du vide. Dans le cas d’espèce l’UGTT ne fait que miroiter sa manière de voir les choses : le diktat ou le chaos. Peut-on en vouloir à cette organisation nationale de verser dans la diffamation et le bras de fer continu ? la centrale syndicale a pris le pli, depuis au moins dix ans, d’obtenir par la force et la menace, ce qui ne saurait jamais être glané par le dialogue responsable et serein. A quel prix ? Qui s’en soucie ?