La commission des Affaires étrangères de la Chambre des représentants américaine, a tenu ce jeudi 14 octobre 2021, une audition dédiée à l’examen de la situation de la démocratie en Tunisie et aux prochains pas de la politique étrangère US à cet égard.
Cette séance d’audition a été l’occasion pour de nombreux intervenants de commenter la situation politique en Tunisie, après l’annonce des mesures exceptionnelles décrétées par le président Kaïs Saïed le 25 juillet dernier.
Le républicain Greg Steube, membre de la Commission des Relations internationales dans la chambre basse du Congrès des Etats-Unis, a souligné que la constitution tunisienne ne dit pas que le président peut amender la constitution ou geler le Parlement, elle ne dit pas que le président peut limoger le chef du gouvernement mais le consulter mais c’est ce qu’a fait Kaïs Saïed quand il a annoncé un nouveau gouvernement qui au final lui répond à lui et pas à Najla Bouden.
« Kaïs Saïed n’est pas notre ami, il a soutenu un agenda anti-américain et anti-israélien depuis sa campagne et depuis son élection. Au lieu d’engager les réformes pour le libre marché, il n’a fait que poursuivre son agenda socialiste et menacer les entrepreneurs privés et leur demander de baisser leurs prix. Cela n’est pas de bon augure pour l’avenir de la Tunisie » a déclaré Greg Steube.
« La démocratie tunisienne et la constitution autant que l’argent des contribuables américains utilisé sont aujourd’hui testés. Kaïs Saïed a démis le chef du gouvernement et gelé le Parlement déclenchant les inquiétudes de la communauté internationale sur l’éventuel recul de la démocratie. Même si ces décisions ont été soutenues par quelques Tunisiens, les amis de la Tunisie se retrouvent devant une énigme et essayent d’identifier ce qui peut servir au mieux les intérêts du peuple tunisien » a-t-il ajouté.
Eddy Acevedo, chef de cabinet et conseiller principal au Centre Wilson a estimé que la Tunisie est sur une pente glissante et que la démocratie y est menacée.
« Les récentes décisions de Kaïs Saïed font poser la question de savoir si la Tunisie est encore sur la voie démocratique. Nous avons cela ailleurs, à Haïti par exemple. En Tunisie, il est vrai que le peuple se sent abandonné dans la transition démocratique, qu’il espérait que la liberté recouvrée allait être liée à la prospérité économique, au lieu de cela, la Tunisie fait face à un taux élevé de chômage, une crise économique et lutte pour faire face à la crise sanitaire causée par le Covid-19 » a commencé par exposer l’intervenant.
« Pourquoi la Tunisie compte ? Premièrement, nous sommes amis avec les Tunisiens qui aspirent à un avenir libre, démocratique et prospère, ce qui n’arrive pas souvent au Moyen-Orient. Deuxiémement, une Tunisie stable est importante pour la sécurité régionale, pour la question de la migration et pour répondre aux ambitions malveillantes de certains acteurs. La Russie a déjà un port en Syrie, un autre accès via la Tunisie peut menacer la stabilité de la Méditerranée. La Tunisie a signé avec Huawei et a tissé des liens économiques forts avec la Chine même si son plus gros partenaire commercial est l’Union Européenne. Du point de vue de la lutte contre le terrorisme, il faut voir la Tunisie dans un schéma plus large des retombées du retrait américain d’Afghanistan. Si Daech réémerge. La Tunisie avait le plus grand nombre de combattants qui sont allés en Syrie ou en Iraq combattre pour le Califat. Un environnement moins sécurisé ne peut que rendre plus difficiles les actions de développement » a-t-il ajouté.
Eddy Acevedo a souligné que la Tunisie est importante pour les intérêts généraux des USA dans la région. « Durant mon mandat à l’Agence des États-Unis pour le développement international (USAID), la Tunisie était en top priorité. Ce comité a souvent dû faire face à de nombreux défis en politique étrangère et parfois même la question du levier que nous avions pour démontrer nos valeurs et nos principes, surtout en ce qui concerne la démocratie et les droits de l’Homme. En Tunisie, nous avons un levier, nous pouvons appliquer l’approche du bâton et de la carotte pour inciter les bons comportements ou alors recouvrir aux pressions si la situation empire » a-t-il confié.
Il a affirmé que si le processus démocratique continue d’être sapé, l’espace pour les organisations de la société civile fermé et qu’il n’y a pas de volonté de restaurer le régime démocratique en Tunisie, alors les USA doivent prendre des mesures pour faire pression sur le président Saïed.
« Nous pouvons par exemple réévaluer la désignation de la Tunisie en tant qu’allié majeur non membre de l’OTAN, ou réévaluer nos programmes de sécurité ou encore revoir nos initiatives de financement militaire à l’étranger. Aussi, ce qui se passe en Tunisie pourrait compromettre son éligibilité pour bénéficier des 498,7 millions de dollars accordées dans le cadre du programme MCC, d’ailleurs l’American Millennium challenge corporation a apparemment suspendu les discussions sur ce programme. La Tunisie demande un prêt de 4 billions de dollars au FMI, nous devrions utiliser notre influence pour demander que le régime démocratique et constitutionnel soit restauré. Nos réseaux démocratiques ont besoin de ressources pour renforcer les partis politiques, les organismes de défense des droits de l’Homme, les médias indépendants et les journalistes. L’USAID devrait allouer toutes ses ressources additionnelles pour répondre à la crise actuelle » a poursuivi M. Acevedo.
Et de conclure en ces termes : « Nous ne devons plus attendre encore de déterminer si Kaïs Saïed est le démocrate que nous espérions, le Parlement doit être réinstallé et la justice doit être indépendante. La stabilité et la prospérité de la Tunisie sont de l’intérêt de notre sécurité nationale et politique étrangère. Si nous n’agissons pas tout de suite, nous laissons la porte ouverte à nos adversaires pour combler le vide. Les Tunisiens ont prouvé qu’ils ont ce qu’il faut pour gérer cela mais nous devons leur tendre la main avant que cette crise ne devienne intenable, nous ne devons plus être dans le « wait and see » et nous devons agir avant qu’il ne soit trop tard ! ».
Il convient de rappeler que le président de la République Kaïs Saïed a reçu l’ambassadeur des Etats unis en Tunisie, Donald Blome au palais de Carthage pour lui faire part de la déception de la Tunisie de l’audition consacrée à l’examen de la situation en Tunisie par la Chambre des représentants US.
Par ailleurs, le président de la République a indiqué que les relations entre les deux pays resteraient solides bien que certains Tunisiens tentent de déformer ce qui se passe en Tunisie, et parviennent à trouver ceux qui les écoutent à l’étranger.