« Un pas vers la vérité » : ce samedi, quelque 500 étudiants, partis jeudi de Belgrade après avoir participé au blocage pendant vingt-quatre heures d’un important nœud routier et provoqué la démission du premier ministre Milos Vucevic, sont arrivés à Novi Sad, deuxième ville du pays où ils ont rejoint des milliers d’autres étudiants venus de tout le pays. Ils devaient bloquer les trois principaux ponts qui enjambent le Danube pendant au moins trois heures et l’un d’eux pendant 24 heures.
Ce mouvement constitue le point d’orgue d’une vague de contestation de trois mois née de l’effondrement, le 1er novembre, de l’auvent en béton de la gare de Novi Sad qui a tué quinze personnes. Un accident dû selon les protestataires à la corruption qui sévit dans le pays sous la présidence autoritaire d’ Aleksandar Vucic au pouvoir depuis 2012. Comme son ami hongrois Orban, il musèle la presse et favorise ses amis dans l’attribution des nombreux chantiers publics. Les travaux de la gare étaient menés par des entreprises hongroise et chinoise. Pour Pékin, ils entraient dans le programme des nouvelles « routes de la soie ».
Tous les jours, depuis début novembre, dans presque toutes les villes serbes, les étudiants, les jeunes parfois rejoints par d’autres, dont des agriculteurs et des employés, défilent aux cris de « la corruption tue » et brandissent une main ensanglantée, leur emblème. Aucune affiliation, aucune revendication politique, pas d’attaque directe du président, simplement des demandes spécifiques : la publication de tous les documents relatifs à la rénovation de la gare ,l’arrestation des personnes soupçonnées d’avoir physiquement attaqué les étudiants et les professeurs depuis le début des manifestations, l’abandon des poursuites contre les étudiants arrêtés, et une hausse de 20 % du budget de l’enseignement supérieur.



Le président Vucic a menacé, accusant des forces étrangères de manipuler les étudiants et a promis de publier les documents et, peut-être, de nommer un nouveau gouvernement. Il a aussi annoncé la division par deux des frais d’inscription à l’université et fait sauter son fusible, le Premier ministre. Sans faire baisser la contestation.
L’opposition politique, divisée, réclame des élections libres. Pas sûr que le président les perdent. Si, selon une récente étude de l’ONG serbe CRTA, 61 % des citoyens soutiennent les manifestations, Vucic a encore des partisans et des leviers dont le sentiment nationaliste, le contrôle des médias et la situation sécuritaire au Kosovo .
Et puis, il y a l’attitude des Européens. Candidate à l’adhésion à l’UE, la Serbie de Vucic freine et cultive sa proximité avec la Russie et la Chine. Sans que Bruxelles ne réagisse. Le 27 janvier à Belgrade, Gert Jan Koopman, le directeur de la Direction générale du voisinage et des négociations d’élargissement, a souligné, malgré les évidences, « les progrès constants » de la Serbie vers l’UE. Le rapport 2024 d’avancement de la Commission européenne indique pourtant que les autorités serbes devraient lutter plus efficacement contre la corruption, mais aussi garantir l’indépendance de la justice et la liberté d’expression.
Pourquoi une telle prudence européenne? La Serbie possède du lithium qui intéresse l’Allemagne et ses voitures, la France vend des Rafales… Pas question de brusquer le président Vucic, de le pousser davantage dans les bras de Poutine et de Xi.
Quelle sera la suite de cette contestation ? Tout dépendra des décisions du pouvoir et de l’extension, ou non, des mouvements de protestation. Pour l’instant, l’économie et le fonctionnement de l’Etat ne sont pas paralysés.