Il a donc fallu une catastrophe pour nous rendre compte de la grande illusion dans laquelle nous avions vécu des décennies durant.
La catastrophe, c’est évidemment cette pandémie de la Covid-19 qui tient désormais les Tunisiens dans son étreinte.
La grande illusion c’est qu’on avait construit un État moderne vivable et viable.
Si le rôle fondamental d’un État moderne est d’assurer la justice sociale grâce à une redistribution équitable des richesses entre les gens et les régions, force est de constater que l’Etat issu de l’Indépendance a été loin de réaliser cet objectif. Il n’y a qu’à se déplacer dans le pays et ses villes pour voir les différences criardes entre citoyens et régions. On le savait déjà. Mais aujourd’hui la pandémie l’a révélé au grand jour comme une insulte au visage de tous ceux qui ne cessent de se retourner en arrière pour faire l’éloge d’un glorieux passé.
Prenez justement le domaine de la santé, puisque c’est le sujet du jour. Jetez un coup d’œil sur la carte de répartition des établissements sanitaires et vous verrez que les hôpitaux universitaires se concentrent dans une superficie de quelques centaines de kilomètres côtières, et qu’une région comme le nord-ouest comptant quatre gouvernorats ne dispose que d’hôpitaux régionaux où les médecins spécialisés, formés pourtant grâce aux deniers publics, refusent de s’y rendre.
Prenez maintenant un autre domaine plus fondamental encore celui-là, puisqu’il s’agit de l’éducation. Nous ne parlerons pas de la qualité de l’instruction dispensée à nos jeunes générations dont tout monde s’accorde pour souligner la médiocrité, nous n’évoquerons pas le décrochage scolaire qui fait ravage, nous indiquons seulement que 65 ans après l’accession du pays à l’indépendance, on compte un taux d’analphabètes qui avoisinent les 20%, et plus encore chez les femmes dans le milieu rural. Faut-il s’étonner après que l’on ait mis autant de temps à convaincre une population de la gravité de cette pandémie et des moyens de la prévenir? Il faut avoir le courage de le dire: notre situation actuelle est le résultat de nos politiques antérieures. Ainsi va-t-il de la vie des nations, et il n’y a pas de miracles pour changer les choses en un tour de main.
Il est vrai cependant que les 10 années de révolution n’ont fait qu’aggraver la situation, approfondissant les inégalités et les disparités héritées du passé. C’est la faute aux mauvais choix politiques d’une élite, formée-ou plutôt mal formée-et impréparée, et qui se complaît aujourd’hui à se perdre dans des disputes interminables aussi violentes que stériles.
Comment arrêter cette folle machine à produire de la tension et de la zizanie et qui menace présent et avenir?
Il faut d’abord commencer par accepter l’autre dans sa différence. C’est la première règle de la démocratie. Si tant est que l’on veuille vraiment construire une démocratie.
Nous devons ensuite sortir de l’illusion du passé magnifique. Tout n’était bon. Loin s’en faut.
Mohcen Lasmar