Par Sayda BEN ZINEB
Un bel hommage à la jeunesse marocaine
Après « Mektoub », « Ali Zaoua », (sur les enfants confrontés à la violence de la rue), « Les chevaux de Dieu », (sur la radicalisation religieuse des jeunes Marocains), et « Much Loved », (qui explore l’univers impitoyable de la prostitution à Marrakech), Nabil Ayouch revient avec « Haut et fort » (Casablanca Beats), actuellement dans nos salles de cinéma.
L’action du film se déroule dans le quartier pauvre de Casablanca, Sidi Moumen, une banlieue connue pour avoir été le fief des jeunes obscurantistes, auteurs des attentats perpétrés en 2003 à Casa. Plus précisément, dans un Centre culturel fréquenté par des jeunes talents sous la tutelle d’Anas, ancien rappeur chargé de les former à la culture du Hip-hop, tout en ayant un sacré sens de l’engagement et de la solidarité.
Au cours de leurs successives séances de répétitions, les jeunes rappeurs vont essayer de se détacher du poids des traditions pour s’exprimer, avancer, se libérer, et vivre une passion qui les envoûte depuis toujours afin de trouver un sens à leur vie. Pour devenir maîtres de leur destin et rompre avec l’endoctrinement religieux qui peut avoir la capacité de dissoudre tout esprit critique chez celui qui le subit.
Grâce au grand potentiel d’un enseignant prêt à tout faire pour les accompagner dans l’écriture et l’expression orale, et les aider à dépasser leurs blocages, les jeunes vont se poser maintes questions qui hantent leurs esprits. Quel horizon leur ouvrera t-il le rap ? Jusqu’où peuvent-ils aller dans l’affrontement avec des parents récalcitrants et la dénonciation d’une société et ses tabous? Autant de questions a priori passionnantes, sur le langage comme moyen d’émancipation.
La plupart des acteurs du film ont été recrutés dans ce lieu effervescent, baptisé, « Les étoiles », qu’Ayouch lui-même a créé en 2014 pour offrir des formations artistiques dans un milieu occulté par le passé, de tout projet culturel à même d’éduquer et instruire une frange importante de la société marocaine.
Projeté l’année écoulée à Cannes, (section compétition officielle), « Haut et fort » est un récit à mi-chemin entre la fiction et le documentaire. Le réalisateur nous offre à voir une œuvre qui s’inscrit dans la lignée du travail d’observation et d’introspection proche du terrain, une approche qu’il affectionne non sans difficultés et qu’il mène depuis des années sur chacun de ses films. Souvenons-nous de la censure qui a frappé au Maroc son avant-dernier film « Much Loved » (Ezzine Elli fik), dont l’actrice principale Lobna Abidar, a été traitée de tous les noms dans son pays d’origine, insultée, menacée et poursuivie en justice pour « incitation à la débauche ».
Dans « Haut et fort », Nabil Ayouch fait un petit clin d’œil à la Tunisie au moment où Anas explique à ses élèves, comment le rap a pu accompagner un mouvement social au lendemain de la révolution de 2011, et comment il est devenu, une des musiques les plus écoutées en s’imposant comme un symbole du changement du régime. Mais puisque chaque société a sa propre réalité et ses propres blocages, il serait difficile de changer le monde du jour au lendemain malgré toutes les bonnes intentions.
Le dernier opus de Nabil Ayouch reste un bel hommage à la jeunesse marocaine… A voir vraiment !