« J’ai pris la décision d’une opération militaire spéciale », disait Vladimir Poutine le 24 février vers 3 heures du matin (heure tunisienne). Il dénonçait le « génocide » commis dans le Donbass et annonçait sa volonté de « dénazifier » l’Ukraine. Un combat du bien contre le mal.
Le monde croyait à un “blitzkrieg” qui allait vite soumettre la petite Ukraine au géant russe. Mais les 75 bombardiers envoyés détruire les cibles stratégiques se heurtent à l’aviation ukrainienne et à ses missiles. Échec. Les forces d’élite aéroportées n’arrivent pas à s’emparer de l’aéroport d’Hostomel d’où devait être lancé l’assaut contre Kiev. Échec. Partout, l’armée ukrainienne offre une résistance inattendue et le président-comédien, désavoué par une large majorité refusait de fuir, se révèle, donnait courage au pays et appelait avec force et conviction et réussite le monde occidental au secours.
100 jours plus tard, la guerre, mot jamais prononcé à Moscou, est toujours là, meurtrière et indécise. Ce seul fait pourrait être considéré comme une victoire de l’Ukraine, mais il faut reconnaître que la Russie a, aujourd’hui, l’avantage sur le terrain, pas loin de contrôler tout le Donbass. Volodymyr Zelensky admet que 20% du territoire de son pays, trois fois plus que le 24 février, est tombé sous le contrôle russe. Mais on ne peut en conclure que les jeux sont faits, avantage ne signifie pas prochaine victoire.
On assiste aujourd’hui à une guerre d’usure, d’attrition partie pour durer. Qui sera épuisé le premier ? Qui a le plus de réserve en hommes et en matériel ? L’Ukraine reculera-t-elle face au nombre de ses morts, de 60 à 100 par jour et 500 blessés ? Avec la conscription obligatoire, l’Ukraine peut compter sur 700 000 défenseurs de la patrie, la Russie n’a mobilisé 150 000 hommes et refuse pour l’instant à le faire plus largement ce qui forcerait le Kremlin à corriger son narratif victorieux de l’opération spéciale » qui atteint tous ses buts.
Nul expert n’ose un pronostic sinon celui d’annoncer une nouvelle phase dans les combats, peut-être élargie à nouveau à tout le pays. Cela dépendra en grande partie de la possibilité pour les Russes de renouveler le matériel et pour les Ukrainiens de continuer à recevoir l’armement occidental. Où sera-t-on dans dix jours, dans un mois ? Un exemple : l’armée ukrainienne est à 10 km de Kherson, la plus grande ville prise et russifiée à grande vitesse, peut-elle mener une reconquête ?
« La guerre n’aura pas de vainqueur » a déclaré ce matin Amin Awad, le coordinateur de l’ONU à Kiev. « La guerre doit cesser » a-t-il dit. Oui, mais, l’heure n’est toujours pas aux négociations. Il n’existe aucune option diplomatique, surtout du côté de Poutine humilié par ses échecs. Zelensky, lui, répète « la victoire sera nôtre ».
Ces cent jours ont changé, ont clivé le monde. Une partie de celui-ci, sans prendre parti pour Moscou, ne se range pas du côté d’un Occident globalement déconsidéré par la guerre d’Irak en 2003, par la crise économique de 2008, par son absence de regrets, de contrition, sa certitude de représenter le camp du bien, du modèle à suivre.
Ce conflit, ces 100 jours ne touchent pas que les deux pays ex-frères, il concerne le monde entier du fait des conséquences des sanctions qui affectent l’économie mondiale et de ce qui peut entraîner catastrophe et déstabilisation de pays africains : le blocage des ports qui empêche l’exportation des céréales attendues par des millions de gens en souffrance, notamment en Tunisie. Poutine fait du chantage : blé et maïs contre la levée des sanctions qui, pourtant, affirme-t-il ne font du mal qu’à l’Europe. Aujourd’hui au Kremlin, le président du Sénégal et de l’Union africaine lui a demandé de lever le blocus. Pour Poutine, ce blocus est ukrainien…
Le chef d’état-major américain a évoqué une intervention « à hauts risques » en mer Noire pour déminer, ouvrir un corridor aux cargos céréaliers. Des dérapages seraient possibles. Et il faut reparler de guerre mondiale. On ne veut pas y croire, mais, à longueur de journée, les télévisions fédérales russes affirment qu’elle a débuté du fait des Occidentaux qui ne cessent d’intervenir. Les Russes, rappellent-elles, sont allés à Paris au XIXe siècle, à Berlin au XXe, laissant entendre que cela peut se reproduire. La propagande fonctionne à plein.
En cent jours, Vladimir Poutine n’a « réussi » qu’à transformer un conflit localisé en problème mondial. « Tout le monde sent que la fin est proche » écrit Newsweek, citant trois hauts responsables au sein du renseignement. Pas la fin de la guerre, mais celle de Poutine traité pour « un cancer avancé »…