« Nous avons besoin de leaders qui ne sont pas amoureux de l’argent, mais de la justice. Qui ne sont pas amoureux de la publicité, mais de l’humanité », soutenait une grande figure des droits de l’homme. Manifestement, en cette période cruciale que traverse la Tunisie, nous avons plus que jamais besoin de dirigeants qui montrent la voie, assument pleinement leurs responsabilités et qui ne cherchent pas à exploiter les événements pour en tirer un quelconque profit.
Malheureusement, en ces temps difficiles ce profil d’hommes politiques ne court plus les rues, il relève tout simplement du leurre. Il n’est pas, dès lors, étonnant de constater que les grands problèmes dont souffre actuellement la Tunisie se nourrissent de l’incompétence, de l’irresponsabilité et de l’insouciance d’une classe politique qui a failli à ses missions et qui ne fait que consacrer la déliquescence de l’État. Un état, pris dans la tourmente d’un jeu politicien aux visées suspectes et de calculs étriqués de positionnement, se trouve incapable à assumer ses missions essentielles. Outre la paralysie des institutions, l’impossibilité de conduire des réformes, de répondre aux attentes les plus légitimes des citoyens, l’état tunisien a fait preuve, depuis le déclenchement de la pandémie du COVID-19 notamment, d’une inaptitude à gérer les situations de crise, d’une incapacité à présenter des solutions et de présenter assistance à une population en danger. Cette situation apocalyptique qui perdure et dont les conséquences se font ressentir, à tous les échelons, ne surprennent plus et ne provoquent ni émotion et encore moins indignation. Elle s’inscrit, pour des pouvoirs qui ont perdu le pilotage d’un pays en détresse, dans la normalité des choses.
Pourrait-on s’attendre à mieux, au regard de la désunion de la classe dirigeante qui, en lieu et place de décréter l’union sacrée de toutes les forces vives du pays, a préféré se livrer à une guerre fratricide sans merci, que même la tragédie provoquée par le COVID-19 n’a pas réussi à apaiser ? Pour cette raison et bien d’autres, la Tunisie dirigée par des personnes sans boussole, sans programme, ni vision, inquiète et suscite un questionnement lancinant. Instable politiquement, traversant un véritable tsunami sanitaire qui a emporté jusqu’ici plus de 18 mille personnes, au bord de la banqueroute sur le plan économique et de l’implosion sociale, la Tunisie donne l’image d’un bateau ivre, qui risque à tout moment de chavirer. Malgré l’extrême gravité de la situation et, c’est là où réside le paradoxe, nos responsables politiques font tout pour que le pays verse dans l’anarchie.
Ce qui interloque, c’est qu’ils ne tirent pas les enseignements de leurs errements, de leurs erreurs et ne montrent aucune résolution pour limiter les dégâts, arrêter la descente du pays dans les abysses du doute, du désespoir et de la désillusion.
Ce qui s’est passé le jour de l’Aïd, ainsi qu’au lendemain et le surlendemain de cette fête, a renforcé une certitude largement partagée ; celle de la faillite de l’état et de la paralysie de ses institutions. Dans ce moment d’extrême gravité, il aurait fallu chercher à tout prix la source du mal, analyser sereinement les raisons du dysfonctionnement du système de santé et apporter les correctifs nécessaires. Chez nous les choses ne se sont passées pas ainsi. Le président de la république et le chef de gouvernement ont privilégié la démarche inverse. S’étriper en public, s’échanger des accusations, développer un discours vindicatif et improviser des choix pour le moins risibles.
Ils sont allés jusqu’à exploiter la crise sanitaire pour poursuivre leur règlement de compte, brouiller les cartes et enfoncer le pays, de plus en plus ingouvernable et non réformable, dans la peur. Depuis plus de six mois on vit un statut quo qui ne cesse de s’éterniser, on gère, au plus pressé et avec une insoutenable légèreté, les affaires du pays qui a pourtant hâte de voir le bout du tunnel.
Plus on attend que la raison finisse par se prévaloir, plus la crise gagne en intensité et plus le pays se trouve scindé en deux clans inconciliables. Deux clans que la tragédie du pays, ses difficultés et les défis auquel il est confronté n’ont pas suffi à pousser ses dirigeants à se mettre autour d’une même table et discuter en toute responsabilité. Résultat : la Tunisie offre aujourd’hui un scénario surréaliste, incroyable.
Le malheureux épisode de la destitution du ministre de la santé donne la pleine mesure sur le cafouillage qui règne et la paralysie d’un système rongé de l’intérieur. Un pays peut-il lutter efficacement contre une pandémie quand on réalise que depuis 2019 pas moins de six ministres se sont succédé à la tête de ce département névralgique ?
En plus du conflit de compétences qui mine la vie politique, ce qui est en train de se produire participe activement à la fragilisation d’une jeune démocratie dont ceux qui veillent à sa destinée usent de tous les moyens pour perpétuer le cercle vicieux. Par leur amateurisme et leurs ambitions démesurées, ils distillent une image risible de la Tunisie et du fonctionnement de ses institutions condamnant le pays à faire à chaque fois un pas en avant et deux pas en arrière.