Un plan de développement est avant tout une feuille de route, un cadre de référence, un outil qui permet au gouvernement d’inscrire son action dans une dynamique vertueuse. Tous les pays et les démocraties les plus affirmées inscrivent leur action, leurs stratégies dans le cadre d’un plan de quatre ou cinq ans afin de pouvoir évaluer les réalisations qu’ils ont pu accomplir, s’arrêter sur les insuffisances et les blocages et procéder éventuellement aux corrections qu’imposent le contexte local ou la conjoncture nationale.
Depuis 2011, les différents gouvernements qui se sont succédé ont dû abandonner cet instrument, qui a pourtant prouvé son efficience et son utilité. Sous l’emprise de la pression de la rue, des calculs politiciens et d’une instabilité continue, ils ont géré les affaires du pays au plus pressé, sans se référer à aucune vision stratégique, à une feuille de route claire ou un calendrier de réformes précis et consensuel pouvant définir les priorités nationales. En lieu et place, on s’est contenté de saupoudrages, d’expédients et de mesurettes souvent improvisées pour gérer des problématiques complexes qui exigent nécessairement des actions en profondeur et des orientations à même de permettre au pays de se remettre sur les bons rails.
Toute l’architecture construite par le pays depuis son indépendance se trouve soudain sacrifiée, faute de volonté, et surtout, d’aptitude de nos responsables à assumer les missions qui leur étaient dévolues. En dépit de tous les reproches qu’on pouvait faire à ces plans, aux schémas de développement qui ont été conçus, les réalisations et les avancées que le pays a accomplies étaient quantifiables. Ces stratégies concertées que ce soit au niveau des régions, des secteurs ou au plan national, offraient aux opérateurs un cadre, une vision et des moyens d’action. Même les partenaires de la Tunisie y voyaient un instrument de référence qui leur permettaient d’appuyer les politiques publiques dans les différents secteurs d’activités. En effet, malgré toutes les insuffisances, les priorités sont connues, les choix sont définis et le pays offre aux investisseurs une visibilité et des moyens pour investir et créer de la valeur en toute confiance.
Dans l’attentisme qui règne, le blocage des réformes essentielles, qu’offre le gouvernement comme cadre de référence pour inciter par exemple à l’investissement, restaurer la confiance des opérateurs, améliorer l’environnement des affaires, apaiser les tensions sociales, assainir les entreprises publiques et promouvoir l’image de la Tunisie ? Rien ou presque. On continue à improviser à tour de bras, à prendre des mesures sans pour autant avoir la certitude qu’elles trouvent un jour le chemin de l’application. On continue à naviguer à vue et à tourner le dos à une réalité complexe qui exige des actions courageuses, des stratégies claires et un engagement sans faille.
Le gouvernement Mechichi, en sursis depuis janvier dernier, est-il en mesure aujourd’hui d’assumer cette lourde charge et de faire un pilotage intelligent à même de mettre en place un véritable plan de sauvetage opérationnel et consensuel ? Très peu probable. Dans le brouhaha qui règne, les difficultés qui ne font que gagner en profondeur, les négociations difficiles qu’il est en train de mener avec le FMI pour obtenir des ressources salvatrices, et l’ambiance délétère qui infeste la vie politique, ce gouvernement semble une fois encore mal parti.
D’abord, il possède des appuis à géométrie variable et sa ceinture politique actuelle au gré des calculs de le sacrifier. Ensuite, ce gouvernement amoindri, peu solidaire et travaillant sans repères, n’a pas encore fait preuve de courage pour dire la vérité aux tunisiens sur l’ampleur des défis, des sacrifices à consentir et sur les moyens à mettre en œuvre pour sortir le pays du bourbier. On a juste droit à un discours décousu, souvent contradictoire et peu claire qui ne permet pas aux tunisiens d’appréhender ni la gravité de la situation et encore moins une capacité à faire une communication intelligente et à fortiori à convaincre les partenaires sociaux sur une feuille de route qui sera la base de toute solution.
Le flou artistique qui règne actuellement, les volte face incessants, l’approximation qui caractérise l’action publique et la colère qui gagne l’opinion publique sont bien les ingrédients naturels du désordre général et de l’inversion des rôles et de l’hésitation qui habite une équipe gouvernementale qui peine à convaincre et à assumer ses responsabilités
Dans ce cafouillis, quel plan de relance pouvait trouver la voie du consensus et de l’application ? Dans l’impossibilité actuelle, pour ceux qui nous gouvernent, de se concerter et d’accorder leurs violons, on ne peut s’attendre sitôt à un véritable déclic, à une possible trêve sociale et à un éventuel sauvetage économique.