Le gouvernement a finalement décidé d’entamer les grandes réformes pour tenter de remettre à flot des finances publiques exsangues et relancer la croissance d’une économie fortement anémiée.
Dans son allocution prononcée, le 26 janvier dernier, à l’Assemblée des représentants du peuple (ARP), à l’occasion de la séance plénière consacrée au vote de confiance aux nouveaux ministres, le chef du gouvernement, Hichem Mechichi, a annoncé que l’exécutif s’apprête à lancer la réforme de la Caisse générale de compensation (CGC), qui gère depuis 1971 les subventions aux produits alimentaires de base et constitue, de ce fait l’un des instruments utilisés par l’Etat pour la mise en œuvre de sa politique dans le domaine social.
«Le gouvernement s’attèlera, au cours de la prochaine période, à la rationalisation du système des subventions et à son orientation vers ses ayants droit dans le cadre d’une politique sociale basée sur l’équité et l’amélioration du pouvoir d’achat du Tunisien», a déclaré le chef du gouvernement. Et de préciser : «La fin du deuxième semestre de l’année en cours sera marquée par le passage du système de subvention des produits à celui de la consolidation des revenus».
Selon le locataire du palais de la Kasbah, la réforme de la CGC doit permettre de faire régresser le taux de pauvreté d’environ 25% et d’éradiquer les phénomènes de la contrebande, de l’utilisation des produits subventionnés à d’autres fins que celles auxquelles ils sont réservés, en plus d’éviter le gaspillage.
Selon des sources bien informées au ministère des Affaires sociales, la réforme s’articule autour de la suppression progressive des subventions aux produits alimentaires de base (pain, semoule, couscous, pâtes alimentaires, huiles de table, lait stérilisé demi-écrémé) et la ré-allocation des ressources financières y afférentes à des transferts financiers directs aux couches les plus vulnérables de la population. Il s’agit, en d’autres termes, de passer d’un système de subvention universel, qui profite aux riches comme aux pauvres, à l’orientation des aides de l’Etat vers ceux qui en ont le plus besoin.
Concrètement, une carte à puce magnétique baptisée «carte sociale» sera accordée aux familles démunies. Les détenteurs de cette carte d’une validité de 5 ans pourront retirer leurs mandats via les distributeurs automatiques de billets (DAB) des banques et de la Poste.
Des critères clairs d’inclusion et d’exclusion des bénéficiaires potentiels de la carte sociale seront définis, en concertation avec l’Union Générale Tunisienne du Travail (UGTT).
L’identifiant unique du citoyen (UIC), une méga-base de données qui regroupera, entre autres, des informations issues des caisses sociales, de l’administration fiscale ainsi que du programme national d’aides aux familles nécessiteuses, du programme d’assistance médicale gratuite et du programme d’accès aux soins à tarifs réduits, sera par ailleurs utilisé pour assurer un suivi régulier de la mobilité sociale des titulaires de la carte sociale.
En Tunisie, le système des subventions comprend deux composantes majeures. Il s’agit des subventions aux produits alimentaires de base, géré par la CGC et des subventions aux produits énergétiques (essence, gasoil, pétrole lampant, GPL, gaz naturel et électricité).
Le budget annuel moyen de la CGC a atteint 1800 millions de dinars sur la période 2017-2020, soit 1,6 % du PIB.
En ce qui concerne les subventions aux produits énergétiques, les montants varient d’une année à l’autre en fonction des fluctuations des prix sur le marché international : 1550 millions de dinars en 2017, 2700 millions en 2018, 2100 millions en 2019.
D’après une étude de l’Institut national de la statistique (INS), le système de subventionnement des produits alimentaires de base comporte plusieurs incohérences: 61% du budget de la CGC bénéficient à la classe moyenne, 9% bénéficient aux ménages vulnérables et 7% bénéficient aux ménages aisés, alors que 23% sont orientés à des utilisations non domestiques.
En valeur absolue, les ménages aisés bénéficient plus de la compensation que les ménages démunis : 89 dinars par tête et par an pour les riches contre 68 dinars par tête et par an pour les pauvres. D’autre part, des quantités non-négligeables des produits alimentaires subventionnés sont détournées au profit des industriels, des hôteliers, des restaurateurs et des contrebandiers. La charge additionnelle due à la contrebande vers la Libye et l’Algérie supportée par la CGC est estimée à entre 120 et 160 millions de dinars par an.
W. K