Feu Hédi Baccouche, ancien premier ministre et directeur du Parti socialiste destourien(PSD), me glissa cette phrase au cours d’une rencontre chez lui, quelques mois avant sa mort: «il faudra, me dit-il, beaucoup de temps et de patience avant de trouver la meilleure façon de diriger ce pays qui n’a connu que deux types de gouvernement: le pouvoir paternaliste appuyé par l’argument historique de Bourguiba, et la force brutale du bâton de Ben Ali ».
Oui mais le temps et la patience, on en a plus. Et alors que le pays va de plus en plus mal sur tous les plans, la classe politique ne semble pas prête, loin de là, à arrêter ses chamailleries et ses petites guéguerres. Vous ne pouvez d’ailleurs allumer une radio ou une télévision, ou ouvrir un journal sans que vous ne tombiez sur les sempiternelles et stériles batailles partisanes cachant à peine leur objectif de simple partage des postes.
Cela dure depuis des années même si cela a pris une tournure inquiétante depuis les dernières élections de 2019. Tout y est: insultes, diffamations, violences verbales et physiques, fuites d’enregistrements… Jamais Tunisiens n’ont vécu un tel déclin moral et politique, et jamais on aurait imaginé au lendemain de la révolution que la concurrence et le débat pouvaient tomber si bas, empêchant l’Etat de fonctionner et rendant toute gouvernance impossible.
Le plus grave encore est que l’on ne voit pas de perspective face à une classe politique autiste que n’intéressent visiblement que ses petits intérêts immédiats, et qui refuse de se reprendre et de s’offrir les conditions d’un vrai dialogue, de concertation et de rapprochement.
Et pendant ce temps-là le pays continue de s’enfoncer dans une crise qui ne peut mener qu’à à la banqueroute ouvrant ainsi la voie à une explosion sociale pouvant se produire à tout moment.
Mais la question est: y a-t-il encore un pilote dans l’avion?
Le pilote est là. Il s’appelle Kaïs Saïd et il est le Président de la République. Le score plébiscitaire par lequel il a été élu, le pouvoir que lui confère la constitution, sa formation intellectuelle le qualifient, en principe, à jouer le rôle qui est le sien en se mettant au-dessus des querelles et des intérêts partisans pour favoriser le dialogue nécessaire à la remise en marche de l’Etat. Seul ce rôle-là le grandira et lui ouvrira les portes de la grande histoire. Et seul ce rôle-là jettera les bases de la nouvelle gouvernance recherchée.