Enchevêtrés dans les algues, enterrés dans le sable, projetés dans les rochers : les morceaux de tongs sont autant de verrues qui parsèment les plages du Kenya, charriés par les rivières ou par le ressac des vagues, depuis l’autre bout de la planète. Ces sandales légères et bon marché sont plébiscitées à travers le monde mais polluent, comme beaucoup d’autres déchets plastiques, les océans et les plages de sable fin comme celles de Kilifi, sur la côte kényane baignée par l’océan Indien.
« Riches, pauvres, tout le monde en a une paire », note , pour Le Point, Lillian Mulup de l’entreprise kényane Ocean Sole, qui transforme tongs abandonnées et autres morceaux de plastique en sculptures colorées ou jouets pour enfants. « Parce qu’elles sont très peu chères, quand une paire est hors d’usage vous la jetez et vous en achetez une nouvelle. Donc on se retrouve avec beaucoup de tongs sur nos plages », ajoute-t-elle. Ce péril écologique est pleinement visible à Kilifi, où d’énormes quantités de tongs mais aussi de bouchons de bouteille, de brosses à dents ou d’emballages de bonbons sont régulièrement ramassées sur les plages kényanes par des volontaires. « Nous pouvons ramasser jusqu’à une tonne sur (une distance de) 2 kilomètres », explique Mme Mulup, lors d’une de ces opérations de nettoyage qui a réuni mi-février une vingtaine de volontaires. Les plastiques durs et les bouteilles en PET sont revendus à des recycleurs.
Les tongs – principalement faites de mousse et autres plastiques imitant le caoutchouc – sont achetées par Ocean Sole, qui rémunère ainsi les volontaires. Envoyées dans un atelier à Nairobi, les sandales y sont ensuite minutieusement nettoyées, puis collées pour constituer des plaques multicolores. Des dizaines d’artisans – souvent d’anciens menuisiers – les sculptent ensuite avec brio en divers objets, dont des animaux, petits ou grands, qui trouvent preneurs principalement à l’étranger. Pour les plus grandes pièces, comme des éléphants ou des girafes d’environ deux mètres vendus plusieurs centaines de dollars, du polystyrène extrait de vieux réfrigérateurs est également utilisé. « Nos chefs-d’œuvre peuvent nécessiter quelque 2.000 tongs », affirme le directeur de la production, Jonathan Lenato. Les tongs ne proviennent pas uniquement des plages, mais aussi des rivières et des caniveaux des bidonvilles de Nairobi, l’une des capitales africaines les plus dynamiques et confrontée à un immense déficit de décharges. « Nous recevons environ 1,2 tonnes par semaine. Convertissez ça en mois, en année (…) Ça fait beaucoup de tongs », explique M. Lenato. Au total, Ocean Sole affirme recycler entre 750.000 et un million de tongs par an, et avoir créé une centaine d’emplois à plein temps.