Il y a 118 ans naissait celui qui allait être le fondateur de la République Tunisienne et son premier président: Habib Bourguiba.
Père de la Tunisie moderne qu’il a su d’abord mener à l’indépendance au prix d’une âpre lutte «sans concession et sans haine», au cours de laquelle il connaîtra la prison et l’exil, le Combattant Suprême mettra fin au régime monarchique des beys en proclamant la République dont il prend la tête le 25 juillet 1957.
S’appuyant sur le Néo-Destour, le parti qu’il a créé en 1934 pour mener la lutte contre le colonisateur, Bourguiba va s’atteler à l’édification d’un État moderne. L’égalité entre l’homme et la femme consacrée dans un Code du statut personnel, encore unique dans le monde arabe, sera sa première priorité puisque proclamée avant la République, en août 1956. La généralisation de l’instruction publique, la mise en place d’une économie diversifiée et une diplomatie équilibrée attachée aux principes de la paix et de la légalité internationale, participeront à faire de la petite Tunisie l’exemple de l’Etat en développement moderne et dynamique.
Hélas, le grand Zaïm ne résistera pas aux atavismes tenaces de la culture orientale en cédant au culte de la personnalité et en faisant édifier des monuments à sa gloire. Faisant muer le parti du Néo-Destour en un parti unique pour accaparer le pouvoir et se proclamer « président à vie », le lion de Monastir connaîtra le naufrage de la vieillesse et sera évincé sans gloire le 7 novembre 1987.
Aujourd’hui c’est l’héritage d’un homme qui a su donner un rendez-vous avec l’Histoire que laisse Bourguiba à la postérité. Un héritage dont les mots-clés sont toujours souveraineté, modernité et pondération.
Il y a cependant des regrets dans l’historique marche du Zaïm, dont son déni des aspirations de ses jeunes générations à la démocratie et à la diversité, et sa concomitante dérive autoritaire. A cela s’ajoute aussi un régionalisme qui laissera les régions du nord-ouest et du centre dans un quasi-oubli dont la Tunisie dans son ensemble paie aujourd’hui les lourdes conséquences.
Hommes d’Etat à la stature internationale, le premier président de la république tunisienne marquera l’histoire de sa jeune nation autant par ses coups de génie que par ses ratés.Le biographe et journaliste français Jean Lacouture résumera ses impressions en cette inoubliable phrase: « quand je le [Bourguiba] contemple je le critique, mais quand je le compare je l’admire ».
Mais qu’aurait dit Bourguiba de la situation que vit actuellement notre pays?
Tout entier légaliste, et foncièrement opposé aux coups de force et a fortiori les coups d’Etat, Bourguiba aurait désapprouvé l’acte du Président Kaïs Saïd et réprouvé ses décisions. Prudent et calculateur habile, il ne se serait pas hasardé à chambouler un ordre politique sans s’assurer d’abord d’avoir un contre-projet clair et précis et sans être certain de disposer des moyens de le faire accepter et réaliser.
Bourguiba n’aurait pas admis les décisions du Président Saïd pour une autre raison encore, leur nature populiste. Bourguiba a toujours fait la différence entre la foule et le peuple. La foule est versatile mais le peuple est constant. Grand admirateur de la poésie française et d’un certain Lamartine dont il connaissait sans doute la célèbre expression:« un peuple sans âme est une vaste foule».La politique pour Bourguiba est affaire de raison et la raison n’est pas dans la rue.
Mais…
Mais Bourguiba est aussi un grand pragmatique qui sait composer avec la réalité.Face à la situation du fait accompli introduite par les décisions du Président Kaïs Saïd, il aurait conseillé l’usage de son arme de prédilection: le dialogue. Rappelez-vous: l’indépendance de la Tunisie s’est faite aussi grâce au dialogue que Bourguiba, contre l’avis de certains de ses compagnons de lutte, a entamé avec les dirigeants de la 4ème république française. Dialoguer sur la base du droit et des textes juridiques, quitte à aller les dépoussiérer de l’oubli.
Dialoguer avec la volonté de sortir de toutes les impasses et éviter à tout prix de ternir l’image du pays auprès des grands États démocratiques du monde. « Notre avenir est avec les peuples de ces États-là » aimait à répéter le premier président de la république tunisienne et le premier chef de sa diplomatie.