
Par Fadhel Harzalli*
A l’occasion de la fête de l’arbre, célébrée chaque année le deuxième dimanche du mois de novembre, nous abordons le problème de la désertification en Tunisie.
La désertification en Tunisie est un phénomène très ancien de telle sorte que ce fléau ravageur est devenu irréversible et s’étend à l’heure actuelle sur de grandes superficies que ce soit dans le centre ou dans le nord, sans parler du sud du pays.De gros efforts, il est vrai, ont été déployés par les pouvoirs publics sous forme de programmes concrets surtout dans les régions du sud. L’on peut évoquer, à titre d’exemple, les programmes réalisés à Rgim Maâtoug et à Menzel Habib. En outre, les pouvoirs publics, conscients de l’ampleur de ce fléau depuis les premières années de l’indépendance, ont institué la fête de l’arbre depuis le mois d’octobre 1958. Depuis cette date, cette fête est célébrée chaque année le deuxième dimanche du mois de novembre. Il en a résulté la plantation de milliers d’arbres et aujourd’hui des milliers d’hectares sont verdoyants.
Mais, malgré la verdure de beaucoup d’espaces boisés et sauvegardés, la situation reste alarmante et la Tunisie n’est plus la Tunisie verte comme on l’a appelée dans le passé.
Quelles sont les causes réelles de cette situation. Pourquoi n’a-t-on pas pu résoudre ce problème malgré les efforts consentis? Quelles sont les causes de cet échec? Ne faut-il pas penser à une nouvelle approche?
I- La désertification en Tunisie: les vraies causes
Les vents constituent un agent d’érosion et de désertification parfois plus spectaculaire que les eaux courantes par le procédé ou le mécanisme de l’ensablement des routes, des terres cultivées et même des habitations. L’ensablement pourrait aboutir à la stérilité des sols. En Tunisie par exemple, les 2/3 du pays sont menacés par l’érosion éolienne notamment dans les gouvernorats de Mahdia, Kairouan, Sidi-Bouzid, Sfax et Gabès. Dans ces régions, l’ensablement détruit entre 50 et 100 tonnes de sol / ha / an (Bourgou, 1994).
En Tunisie, la superficie des terres agricoles a quadruplé entre le début du XXe siècle et 1975 tout comme le chiffre de la population (Bourgou, 1994). L’accroissement de la population tunisienne a engendré l’extension des terres cultivées. Mais celle-ci s’est faite aux dépens des régions forestières et steppiques et des pacages dont la superficie s’est réduite de 32% en faveur de l’agriculture pendant la même période. En outre, les résultats ont été catastrophiques suite au remplacement de la charrue traditionnelle (l’araire) par la charrue polydisque. Ce nouvel outil, signe d’une mécanisation plus poussée, pénètre profondément dans le sol, creuse des sillons plus profonds et favorise par-là l’érosion. D’autre part, la charrue moderne (la déchaumeuse à disques) a permis l’exploitation de régions à topographie accidentée aux dépens des pâturages et des zones steppiques c’est-à-dire la mise en valeur de régions fragiles et sensibles à l’érosion.
La sédentarisation des populations, surtout après l’indépendance, a, par ailleurs, conduit à la disparition ou à l’éclatement de beaucoup de grands troupeaux et à leur remplacement par de petites unités qui pâturent, presque toute l’année, au voisinage immédiat des zones habitées provoquant ainsi un surpâturage localisé et une dégradation accélérée du milieu naturel.
Ainsi, la détérioration des anciens systèmes de gestion de l’espace rural a conduit à la rupture parfois irréversible des équilibres écologiques issus des usages anciens des terres et des ressources végétales.
La gestion des ressources naturelles est alors déséquilibrée et les processus de dégradation du milieu naturel se sont amplifiés. Ils se manifestent par une décroissance de la productivité biologique des écosystèmes touchés et des niveaux de vie des populations.
La désertification apparaît en Tunisie comme une mauvaise utilisation des ressources naturelles à savoir le sol, l’eau et la végétation mais aussi comme une interaction désorganisée et irrationnelle entre l’Homme et son milieu écologique. Les conséquences sont si catastrophiques que beaucoup de régions s’appauvrissent et se «désertisent». Le meilleur exemple en Tunisie est, peut-être, la plaine de la Jeffara au Sud-est où la désertification est apparue suite à une pression démographique croissante dans un milieu naturel fragile.
II- La nécessité d’une nouvelle approche : l’approche systémique
1- L’approche systémique
L’approche systémique est une technique qui permet d’augmenter l’efficacité de l’action, en tenant compte tant des éléments d’un système que des relations entre ces éléments (De Rosnay J. ,1974). Nous pouvons donc analyser et gérer le risque de la désertification en Tunisie par l’intermédiaire des concepts de l’approche systémique. Mais, rappelons, d’abord, la définition classique d’un système. Un système est un ensemble d’éléments liés par des relations multiples et capable en interaction avec son environnement, de répondre, d’évoluer, d’apprendre, de s’auto-organiser (Lesourne J., 1988). Aussi, le système se caractérise-il par l’existence de plusieurs points sensibles. Si l’on veut arrêter son fonctionnement, il faut intervenir au niveau de ces points sensibles. L’approche doit donc être systémique car les concepts multidimensionnels comme celui de la désertification mettent en jeu une multitude d’éléments permettant de faire comprendre que l’espace des sociétés est un système complexe dont les éléments et facteurs explicatifs sont, à la fois, nombreux et inter-reliés.
Le choix de l’approche systémique se justifie car le raisonnement linéaire sépare les différents constituants de la réalité en autant d’éléments simples pour pouvoir les analyser séparément, pour les organiser suivant un ordre logique, en distinguant les éléments antérieurs et les éléments conséquents (André Y., 1994). C’est un paradigme de simplification, caractérisé à la fois par un principe de généralité, un principe de réduction et un principe de disjonction qui commandait l’intelligibilité propre à la connaissance scientifique classique (Morin E., 1982).
2- Application de l’approche systémique pour gérer la désertification
La désertification apparaît sous forme d’un système qui comprend plusieurs éléments solidaires entre eux, inter-reliés, des boucles de rétroaction positives, des relations quasi-mécaniques, des relations de réciprocité où les éléments s’influencent mutuellement.
Ce système comprend aussi des points sensibles et il suffit d’agir au niveau de ces points pour que le système ne fonctionne plus. Par exemple, pour combattre la désertification, plusieurs actions sont simultanément requises : organiser la pâture, éviter le surpâturage, conserver les sols en luttant contre l’érosion, conserver le couvert végétal, raisonner l’irrigation. Autrement dit, il s’agit de raisonner la gestion des ressources et éviter la pression sur le milieu. C’est ainsi que la gestion du risque de désertification a lieu dans la pratique car toutes, sinon les principales dimensions de ce fléau sont prises en considération.
Dans ses travaux de recherche sur la désertification, Khatteli H. (1981; 1983, 1995) a démontré, par des essais menés au niveau stationnel, qu’il est possible de lutter contre cette dégradation tant sur le plan curatif que préventif. Sur le plan curatif, la lutte contre la désertification est possible par le biais de la technique du « Mulching » qui consiste en un épandage de résidus végétaux sur la surface du sol après avoir nivelé les dunes. Sur le plan préventif, la déchaumeuse à socs apparaît comme l’outil le mieux indiqué parce qu’elle a permis de réduire les pertes en sol de trois fois par rapport à la déchaumeuse à disques, tout en produisant une récolte annuelle, somme toute, proche de la moyenne générale.
Conclusion
Contrairement à l’approche de type linéaire qui fait de la désertification une résultante de facteurs naturels comme la sécheresse et l’érosion hydrique et éolienne et qui repose sur un déterminisme implicite parfois véhiculé par les médias et repris par le public, l’approche systémique fait place à une connaissance géographique problématisée. Elle entend apporter la dimension humaine, sociale et politique de la gestion de l’espace (ou du territoire).
En effet, la surexploitation de l’espace agricole, l’extension démesurée des cultures pour subvenir aux besoins croissants des populations, le surpâturage résultant, entre autres, de l’accroissement du cheptel sont le résultat de décisions prises sur le territoire. Il s’agit dans ce cas d’une prise de risques des décideurs. L’approche systémique met en relief la responsabilité de l’Homme dans la genèse et la propagation de la désertification, élabore une connaissance géographique problématisée qui concerne les actions et les interactions entre les hommes et leur territoire car l’espace est le produit de la dynamique sociale.
Cette approche aboutit aussi à un discours critique sur la désertification en tant que risque, discours qui met en exergue les relations entre les principaux facteurs humains et naturels générateurs de la catastrophe qui n’a de sens que parce que l’Homme est concerné.
Nous sommes donc renvoyés au risque accepté-consciemment ou non- par les acteurs de l’espace et aux questions d’organisation, d’aménagement et de décision sur celui-ci. La désertification peut apparaître ainsi comme un dysfonctionnement social, la géographie devient alors une science du social et du politique. Ainsi, l’interface nature/ société devient un élément fondamental de l’approche géographique, en rupture avec une géographie clivée entre une géographie physique «seule» et une géographie humaine «sans milieu physique». Cette nouvelle réflexion sur la géographie physique et sur la place des risques naturels, en l’occurrence la désertification qui sévit en Tunisie depuis belle lurette, concerne directement une vision prospective recentrée de la géographie qui vaut aussi bien pour la géographie universitaire que pour les décideurs et les aménageurs.
Fadhel Harzalli, chercheur universitaire