Dans un entretien exclusif accordé à econostrum.info à l’occasion de son intervention sur « La question méditerranéenne et l’avenir du partenariat entre les deux rives » organisée par l’association Euromed-IHEDN, Hatem Ben Salem, maître de conférences à la faculté de Sciences Juridiques de Tunis, se confie sur la coopération euroméditerranéenne. L’ex-ministre tunisien de l’Éducation et de la Formation, ancien Secrétaire d’État aux Affaires étrangères en charge des Affaires européennes et ambassadeur de Tunisie et auprès de l’Onu, suggère de faire évoluer le partenariat entre la rive Nord et la rive Sud.
econostrum.info: Pourquoi dîtes-vous que l’euroméditerranée se trouve au point mort?
Hatem Ben Salem: L’espace méditerranéen n’a pas été un choix stratégique de l’Union européenne. Si vous ajoutez à cela l’état d’instabilité politique et sociale dans les pays de la rive Sud, vous aurez votre réponse sur le désintérêt autour de l’euroméditerranée. Cette mer, qui devrait rapprocher les populations des deux rives, est plongée dans un contexte crisogène qui lance des signaux alarmants sur la coopération. La Méditerranée demeure pourtant importante car, elle est, que nous le voulions ou non, un patrimoine commun pour l’humanité. Les deux rives de la Méditerranée doivent très vite reprendre conscience de leur communauté de destin.
Quel peut-être le partenaire de dialogue de l’Union européenne alors que la Ligue arabe et l’Union du Maghreb Arabe (UMA) ne font plus entendre leurs voix?
H.B.S.: La Ligue arabe dispose de moyens limités. Tout comme l’UMA, qui au départ montrait un signal positif et est aujourd’hui une association mort-née. Le Dialogue 5+5 est aussi à l’arrêt… les États ne se parlent plus entre eux et ceci ne favorise pas la coopération.
Je pense qu’il faut revenir à la Ligue arabe, la plus ancienne organisation régionale. Elle réunit tous les États arabes. Si elle se trouve en veilleuse et ne réagit plus aux crises et aux partenariats, c’est parce qu’elle ne reçoit pas de propositions. Mais si, demain, il existe une proposition de partenariat euroméditerranéen, ceci rendra énormément service également à la Ligue arabe en lui permettant, peut-être, de reformer sa politique extérieure.
Je suis étonné que vous n’évoquiez pas l’Union pour la Méditerranée (UpM). C’est volontaire?
H.B.S: Oui, c’est volontaire… J’estime que malheureusement ce projet a déçu. il n’a pas réussi et est resté au niveau de la bureaucratie. L’UpM donne une image pas très reluisante du potentiel de cette coopération euroméditerranéenne. Je suis, par principe, contre toute bureaucratisation de cette coopération. L’UpM est un organisme avec des objectifs extraordinaires, mais avec des moyens dérisoires.
La Politique européenne de voisinage (PEV) a été remaniée, mais ceci ne vous satisfait toujours pas?
H.B.S.: Évidemment qu’elle ne peut pas nous satisfaire! D’abord par le montant consacré. Pour dix pays, y compris Israël, il s’élève à 7 mrds€ sur quasiment six années. C’est rien du tout ! Ces 7 mrds€, la Tunisie peut à elle seule les absorber très très vite. C’est un manque de sérieux de la part de cette politique de voisinage. Les moyens et les instruments de mise en œuvre et de déblocage de ces financements sont tellement compliqués que, certainement, nous ne verrons pas cet argent dépensé.
L’Union européenne s’est élargie, mais n’a pas voulu le faire sur l’autre rive, alors que le Maroc était demandeur. Nous pensions être des partenaires de l’UE, mais, avec la PEV, nous voyons que nous ne sommes que des voisins. L’UE n’a pas été à la hauteur de l’ambition attendue, du moins celle des riverains du Sud. Ceci a créé un grand malentendu et un déclic pour plusieurs forces politiques, comme par exemple les islamistes qui ont travaillé les opinions contre l’UE. Cette propagande a fait émerger des tensions au sein de la rive Sud. Le cadre euroméditerranéen n’est donc plus celui de l’entente, mais celui des égoïsmes de part et d’autre.
Que préconisez-vous pour faire évoluer ce partenariat ?
H.B.S.: La Pax Mediterranea voulue en 1995 avec la Déclaration de Barcelone est un rêve de plus en plus lointain. J’appelle donc à une nouvelle approche, basée sur l’humain, pour faciliter des projets de coopération en cassant, et je choisis bien le terme, cette bureaucratie bruxelloise. Elle est en train de tout mettre en place pour entraver la mise en œuvre de véritables projets structurants et de développement. Il faut une zone de prospérité partagée, garante d’une stabilité et d’une sécurité. Elle devra se démarquer des partenaires actuels pour se concentrer sur l’homme. Les populations ont été mises de côté. L’UE est venue vers les États et, à un certain moment, vers les régions. Mais jamais vers l’homme.
Marseille a accueilli le Sommet des deux rives en juin 2019 et le Forum des mondes méditerranéens voici quelques semaines. La société civile euroméditerranéenne a donc bien la parole contrairement à ce que vous prétendez?
H.B.S.: Malheureusement, ce sont des shows qui n’ont aucun effet sur le terrain. Il faudra dépasser ce genre de rencontres et rentrer dans une réflexion beaucoup plus gagnant/gagnant. Je pense que la société civile a un rôle primordial, mais à condition qu’elle soit encadrée dans des projets pouvant être financés par l’Europe. On ne peut pas laisser la société civile décider des objectifs et des projets de financement. Elle est un complément à l’action de l’État dans les projets.
Vous êtes contre les projets d’État à État. Que suggérez-vous ?
H.B.S.: Oui, je préfère que les prochains projets de l’Union européenne, y compris dans le cadre de cette politique de voisinage, soit des projets structurants et d’intégration des États de la rive Sud. Je souhaite qu’à l’avenir les financements aillent vers ceux qui regroupent un minimum de trois pays. A partir du moment où sont créées des synergies entre États, dans des domaines comme l’éducation – Vous n’aurez jamais peur d’un homme qui a lu Rousseau ou Montesquieu-, l’innovation, les exportations, le tourisme, la santé etc…, vous pouvez être certain que le bénéficie sera réel. Non seulement pour les populations, mais justement aussi pour encourager des projets communs, et donc la coopération, au sein de la rive Sud de la Méditerranée..
Comment favoriser cette coopération alors qu’elle n’existe même pas entre les pays des Sud.
H.B.S.: Tout simplement en conditionnant l’octroi des financements. Je suis contre le principe de la conditionnalité, pour les raisons que vous comprenez et surtout politiques. Mais, j’estime qu’à partir du moment où l’on mettra la condition du projet intégrant au moins trois pays…
Donc trois pays de la rive Sud ?
H.B.S.: Oui du Sud ! Il fait absolument que le projet financé couvre trois pays du Sud. C’est ainsi que nous pourrons, demain, espérer une harmonisation au niveau des systèmes éducatifs, de santé et autres. Et que les États du Sud seront encouragés à se rapprocher plus les uns des autres.
Parue dans Econostrum.info le 14 mars 2022