Les Tunisiens établis à l’étranger votent depuis ce vendredi pour l’élection présidentielle qui, estime la presse nationale française, est « jouée d’avance ». En Tunisie, le vote se déroulera dimanche. RFI note que « dans un contexte marqué par la peur, deux candidats feront face au président sortant Kaïs Saïed : Zouhair Maghzaoui, ancien député d’un parti « nationaliste arabe » et admirateur du Brésilien Lula, et Ayachi Zammel, un homme d’affaires emprisonné qui rêve de connaître le sort du président sénégalais Bassirou Diomaye Faye.
Radio France Internationale remarque qu’ « un voyageur non avisé peinerait à remarquer que la Tunisie s’apprête à voter. Sur les murs, les affiches des candidats, rares et discrètes, n’attirent que peu l’attention d’une population accaparée par les difficultés du quotidien autant qu’elle semble désabusée par les déboires de la vie politique de son pays.
France 24 voit dans le président « un chef d’Etat autant adoré qu’abhorré ». Les uns le remercient d’avoir réussi à débloquer l’administration et permis la réalisation de nombreux projets communaux. Les autres soulignent la hausse constante des prix, les atteintes aux libertés, notamment d’expression.
Dans Libération, l’analyste Hatem Nafti croit que « le pays risque de sombrer vers une dictature à l’ancienne. » Il explique : « Kaïs Saïed considère le peuple comme les gens qui sont d’accord avec lui. Or, le taux d’abstention a battu un record lors des législatives de 2022, ce qui montre que la majorité des Tunisiens n’adhère pas à son projet. Ce très haut pourcentage ne signifie néanmoins pas que neuf personnes sur dix sont contre lui. Le Président bénéficie d’une sorte d’adhésion passive de la part de la population. Ceci s’explique par le narratif qu’il utilise, selon lequel tous les dysfonctionnements dans le pays sont liés à un complot généralisé. Il impute ces problèmes à des boucs émissaires comme les élites, les migrants, les islamistes ou encore les puissances étrangères. Cette absence totale de remise en question donne l’impression que la Tunisie est devenue une citadelle assiégée qui doit se défendre face à une multitude de complots.
Au fond, considère sur France 24 Sophie Bessis, historienne et journaliste d’origine tunisienne, « dans la rhétorique de Kaïs Saïed, la séparation des pouvoirs n’a pas de sens ».
Le Point décrit aussi la manière dont Kaïs Saïed gouverne : « Depuis le palais de Carthage, ville dans la ville, sous la protection de la garde présidentielle (presque trois mille hommes), Kaïs Saïed vit de colères et de desseins pour les opprimés. Il promet à intervalles réguliers que « les corrompus » seront châtiés, le mot « corrompu » visant la quasi-totalité des élites (économique, politique, médiatique). Le candidat Saïed tient le même discours sur le terrain que lors de ses monologues présidentiels tenus depuis son bureau face à un ministre coi sur sa petite chaise placée de profil. Il ou elle entendra des vitupérations contre les « cafards », les « corrompus », ceux qui « complotent dans des cafés, des restaurants, avec de l’alcool et des étrangers ». Il promet qu’il n’y aura plus de « personnes opprimées en Tunisie ».
Pour l’opposition tunisienne, si l’élection de 2019 se déroulait dans un climat de désillusion démocratique, celle de 2024 est un véritable compte à rebours avant le retour à la dictature.
Dans la même veine, Franceinfo ajoute : « Kaïs Saïed a surtout muselé toutes les voix critiques. En un seul mandat il a remodelé l’assemblée, fait voter une nouvelle constitution, mis la justice au pas et méthodiquement étouffé tous les contre-pouvoirs… Hamma Hammami, qui dirige le parti des travailleurs, parle de lui comme le nouveau dictateur de la Tunisie : « Kais Saïed il a fait passer la Tunisie d’un système politique démocratique libéral qui était le fruit d’une révolution véritablement populaire à un autre système politique basé sur le pouvoir despotique d’une seule personne. Il faut voir les conséquences, le nombre de détenus politiques qu’on a maintenant. »
Sur le même registre, La Croix insiste sur la peur ressentie par les opposants toujours surveillés : « ONG et partis d’opposition redoublent d’inventivité pour que la fouille fréquente du contenu de leurs téléphones portables ne soit pas l’occasion de poursuites.
En cas d’arrestation, leur contenu est la plupart du temps fouillé. Et, en vertu du décret-loi 54 signé par Kaïs Saïed en 2022, moins d’un an après s’être adjugé les plein pouvoirs, les militants risquent jusqu’à cinq ans de prison s’ils diffusent de « fausses informations et rumeurs » sur Internet, ou s’ils se rendent coupables d’offense envers l’État. Une critique déplaisante, et c’est la détention. Effacer son historique, utiliser les messages éphémères dans les applications – WhatsApp ou Signal – sont devenus des gestes courants. »
L’éditorialiste du quotidien catholique écrit que le scrutin n’est qu’une « formalité » : « le président tunisien Kaïs Saïed a de fortes chances d’être réélu dimanche. Nationaliste et autoritaire, il n’a pourtant pas réussi à accélérer le développement économique de son pays. Malheureusement, l’Union européenne met la question migratoire au premier rang de ses relations avec lui.
Le sortant Kaïs Saïed espère être réélu dès le premier tour. Ce dirigeant autoritaire a fait le nécessaire pour annihiler la compétition électorale et la contradiction. Le scrutin n’est à ses yeux qu’une formalité. Il bénéficie d’une réputation d’intégrité dans une partie de la population. Et la légitimité démocratique lui importe moins que le sentiment messianique d’être l’homme de la situation.
Au Monde, le candidat Maghzaoui explique : « Les Tunisiens sont face à un choix : rester dans cette situation absurde dans laquelle se trouve le pays, où il y a beaucoup de discours mais pas de réalisations, ou se présenter aux urnes en masse et choisir l’action ».« Partout on voit de la peur chez les gens, observe un membre de son équipe de campagne. Il y en a beaucoup, y compris des personnalités publiques, qui nous soutiennent mais craignent d’avoir des problèmes après les élections. »