Sans chercher à donner tort ou raison à l’une ou à la l’autre partie dans la confrontation opposant Abir Moussi, présidente du PDL et ses sympathisants aux représentants de l’Union des savants islamiques, et derrière eux les sympathisants des partis d’Ennahdha et El karama, il y a un triste constat qui s’impose: l’absence de cette frange de la population censée expliquer, éclairer et assister les masses populaires, je veux nommer les élites intellectuelles. Car il faut bien le dire, nous sommes-là face à l’exemple type d’une bataille intellectuelle même si, pour les besoins de la communication on assortit l’affaire d’une teinture politicienne.
La question est celle-ci: peut-il y avoir une pensée islamique? Et la réponse est oui, bien entendu. Comme il y a une pensée chrétienne menée par des intellectuels et des philosophes chrétiens, et comme il y a aussi une pensée juive depuis d’ailleurs l’Ecole kabbalistique de Gerone à partir du 13 ième siècle, rien n’interdit qu’il y ait une pensée islamique qui puisse participer à la constitution d’un corpus permettant un dialogue avec les autres religions et spiritualités du monde. C’est donc une affaire d’intelligence( au sens premier du terme) qui concerne en premier lieu les intellectuels du pays avant d’être une affaire politique portée à bout de bras par des des dirigeants de partis y ayant senti un bénéfice immédiat à tirer. Intellectuels, dites-vous? Ça n’existe pas. Ça n’existe plus depuis l’assassinat, démembré vivant, de celui qui pût être le premier intellectuels musulman en jouant son rôle de conscience de son époque: Abdallah Ibn Al Muqaffa.
La quasi -inexistence du livre politique comme le constate si bien Ali Abderrazaq dans son « l’Islam et les fondements du pouvoir », explique l’absence encore vérifiable dans notre société arabo-musulmane de celui qui se consacre à défendre les valeurs justes et fasse bouger les lignes grâce à son autorité propre. Nous parlons de ces hommes et femmes engagés dans la sphère publique par leurs analyses, leurs opinions et leurs points de vue. Ce sont ces mêmes hommes et ces femmes qui sont mus par par l’unique attachement à la justice, à la vérité et à l’étique.
« L’intellectuel, rappelle le grand penseur palestinien Edward W. Said dans son livre Des intellectuels et du du Pouvoir est quelqu’un qui refuse quel qu’en soit le prix les formules faciles, les idées toutes faites, les confirmations complaisantes des propos et des actions des gens de pouvoir et autres esprits conventionnels». En fait l’absence de l’intellectuel engagé à répandre la lumière de l’intelligence en mettant son environnement en état de discernement par l’information et l’explication, en ayant pour seul objectif la vérité, est un camouflet pour toutes les politiques suivies depuis les indépendances des pays arabes amenant les systèmes éducatifs à ne produire que des « intellectuels alimentaires »comme le dit si bien le penseur sénégalais Soleymane Gomis. Alors, les Voltaire, les Zola , les Sartre et autre Chomsky, ce n’est pas demain qu’on les verra, entendra ou lira chez nous. Voilà pourquoi la question autour de l’Union des savants islamiques est vite transformée en une affaire politicienne sans que ni historien, ni philosophe, ni islamologue…, ni intellectuel en somme, ne se prononce ou donne son avis.
Hélas, c’est là un comportement qui ne peut qu’escamoter les grands débats pourtant nécessaires au développement de la démocratie et mener à davantage d’incompréhension et donc à des divisions sans cesse plus violentes.