Au moment où la crise politique au sommet de l’Etat a tendance à perdurer et que les tractations engagées par diverses parties pour enclencher un dialogue susceptible de briser la glace de la suspicion et des désaccords, entre les frères ennemis, le pays poursuit sa chute vertigineuse dans les abysses de l’inconnu.
Les interminables dissensions, entre des partenaires au pouvoir, ont creusé, chaque jour un peu plus, les sillons de la discorde et de l’animosité, se prévalant en une menace sérieuse pour une démocratie fragile et en butte à des vents contraires de plus en plus violents. Au-delà des surenchères politiciennes auxquelles on a fini par s’acclimater et qui n’ont fait que renforcer la répulsion des tunisiens à la chose politique, c’est la gestion des dossiers économique et social qui interloque.
Nonobstant tous les rappels à l’ordre qui nous ont été lancés par d’experts économiques, organisations internationales et autres sur les dangers qui guettent le pays de la résistance aux réformes, on a préféré colmater les brèches et administrer de simples expédients. Certaines parties, toujours prisonniers de modèles éculés et de choix dogmatiques, ont eu l’outrecuidance de dénoncer une immixtion intolérable dans nos affaires intérieures au moment où le pays peine à convaincre ses partenaires à lui venir en aide ou à obtenir son soutien auprès des bailleurs de fonds.
Tous ces appels pour enclencher des réformes qui ne pouvaient plus attendre dans les secteurs vitaux de l’économie et également dans le fonctionnement de l’administration tunisienne, l’éducation, l’enseignement, la formation professionnelle et les caisses de sécurité sociale, qui caracolent depuis des années un gouffre financier, ont été passés en sourdine.
En effet, plus le bateau Tunisie tangue et risque de couler, à tout moment, plus les acteurs politiques vaquent à des guéguerres interminables, plus la contestation sociale et les revendications salariales gagnent en intensité, plus les pouvoirs publics, faibles et frileux, cèdent à la pression concourant inconsciemment à entretenir une fièvre, source de tous les maux dont souffre l’économie du pays.
Manifestement, tous les gouvernements qui se sont succédé au pouvoir, depuis 2011, ont géré au plus pressé les affaires du pays, par mauvais calcul et souvent par incompétence. Plus soucieux de leurs postes et de leur avenir politique que de toute autre chose, ils ont opté pour des thérapeutiques qui n’ont fait qu’empirer le mal, non de le traiter.
La dernière mise en garde qui semble avoir sonné le tocsin aussi bien pour nos dirigeants que nos organisations nationales ainsi que pour certains experts, qui se sont délectés de meubler les plateaux télévisés pour expliquer une catastrophe imminente, nous est venue de l’agence de notation Moody’s. Cette annonce de la baisse de la note de la Tunisie à « B3 » avec le maintien de perspectives négatives, a pris au dépourvu des pouvoirs publics et des organisations nationales obnubilés par d’autres priorités, d’autres calculs au ras des pâquerettes.
Pourtant, tout le monde sait, que dans le contexte actuel annonciateur de tous les périls, le pays court droit non plus au scénario grec, mais plutôt au scénario libanais. La cessation des paiements et l’impossibilité de sortir sur le marché financier international pour mobiliser de financements impérieux pour boucler le budget 2021, qui accuse un trou béant.
Plus que jamais le gouvernement est condamné à oser dire la vérité aux tunisiens. Oser leur présenter la situation catastrophique que traverse le pays et ne plus se contenter de leur distiller des messages d’assurance vides.
Oser dire que le pays, au bord de la banqueroute, ne supporte plus les arrêts sauvages de travail, la perturbation de la production dans les secteurs jadis moteurs de la croissance. Oser dire que, dans le contexte actuel, procéder à des augmentations salariales est suicidaire, inconcevable et que l’heure est à l’austérité et au partage des sacrifices. Oser convaincre que les sacrifices ne constituent pas un choix mais une obligation et qu’il importe de cesser d’instrumentaliser ce débat d’une manière abusive, car à défaut, le pays sera dans l’incapacité même de servir les salaires et les pensions et d’honorer ses engagements les plus élémentaires.
Oser avouer qu’on a perdu toute marge de manœuvre et qu’on a gaspillé un temps fou dans l’invective, les surenchères stériles et les choix hasardeux.
Oser reconnaître qu’on a échoué à mettre en place des institutions solides, des paravents qui nous prémunissent contre ces dérives incontrôlées.
Oser dire que par la complicité de tous, on a sacrifié l’intérêt général, bloqué toute action réformiste au profit de considérations corporatistes aveugles.
Oser dire la vérité pour que les tunisiens s’aperçoivent de l’ampleur des dégâts et de l’énormité des défis qui les attendent. Oser dire la vérité, pour qu’enfin, nos dirigeants assument leur responsabilité, et que la classe politique arrive à enterrer la hache de guerre.
C’est à ce prix, et seulement à ce prix, qu’il sera possible de sauver la Tunisie. C’est au prix de la vérité, de la responsabilité et du sacrifice que la démocratie pourrait être renforcée et la Tunisie pourra soigner ses blessures et se remettre sur la bonne orbite.