Des crises politiques à répétition, des difficultés économiques insolubles et des tensions sociales récurrentes sont devenues le menu quotidien des tunisiens à bout de souffle, au bord de la crise de nerfs.
Anxiogène à l’extrême, le climat délétère qui domine pèse sur leur moral et hypothèque lourdement l’avenir du pays. Depuis dix ans, de crise en crise, on ne voit plus le bout du tunnel, la moindre éclaircie, un moment de répit qui aurait pu permettre d’immuniser cette jeune démocratie aux prises avec des vents contraires.
Aujourd’hui, la lassitude, l’inquiétude et la résignation ont fini par dominer les esprits. Le manque de confiance, également, dans une classe politique prompte à tous les dérapages, les surenchères stériles et qui est ,de surcroît, peu encline aux attentes des tunisiens et à leurs préoccupations.
Quand ceux qui sont censés apporter des solutions, renforcer la confiance et présenter des alternatives, sont ceux-là même à l’origine du malaise ambiant, de l’exacerbation des tensions et de la fuite vers l’inconnue, l’on ne peut que déchanter et comprendre le profond désamour entre les citoyens et ceux qui président à leur destinée. Même si depuis 2011 on a appris à vivre à ce rythme, aujourd’hui, la dérive a pris de l’ampleur et tout l’édifice risque, à tout moment, de s’écrouler et le pays de tomber dans le chaos.
Dans cette guerre larvée entre les deux têtes de l’exécutif, amplifiée par la prolifération des interprétations alambiquées de la constitution du pays, présentée en 2014 comme la meilleure qui puisse exister dans le monde, on se perd en conjectures, on se résigne à notre triste sort. La raison de cette glissade est connue, il n’existe plus de pompiers dans un pays où les pyromanes se donnent à cœur joie. Chacun fait de son mieux pour compliquer la donne, empêcher , vaille que vaille, un quelconque compromis, une issue qui permettrait au pays de s’orienter vers les questions essentielles, non gaspiller toute notre énergie dans tout ce qui est insignifiant, ce qui divise et qui creuse davantage les sillons de la discorde et de la haine.
Des guerres par procuration font rage où sont mêlés experts en droit constitutionnel et partis politiques et où chaque camp cherche à mobiliser la rue pour avoir gain de cause, pour imposer son diktat. Qu’est ce qui a fait que la cohabitation est devenue impossible entre les têtes de l’exécutif et le dialogue un leurre entre le président de la République et le président du parlement ?
La paralysie qui frappe actuellement les institutions du pays, l’étalage de la classe politique de son linge sale en toute insouciance, l’obstination des uns et des autres à pousser l’autre à ses derniers retranchements, à l’erreur et à écarter toute velléité de dialogue serein et responsable expliquent bien le paradoxe tunisien, l’imbroglio actuel.
A quoi attribuer cette situation grave si ce n’est l’égo démesuré des différents acteurs résolus à régler leurs comptes politiques, à verser dans le discours vindicatif et populiste et à tourner le dos à toute solution susceptible de nous épargner l’inénarrable, l’inévitable.
Ces évolutions malencontreuses constituent incontestablement un aboutissement normal d’une vie politique viciée, où tout allait sens dessus dessous, des calculs étriqués qui l’emportent sur toute volonté de changement et d’un discours populiste plus que jamais audible et mobilisateur. Il faut peut-être admettre comme l’a soutenu le philosophe canadien Alain Deneault que « Les temps ont changé….les médiocres ont pris le pouvoir. » D’ailleurs, il affirme, non sans raison, que la médiocratie nous incite de toute part à sommeiller dans la pensée, à considérer comme inévitable ce qui se révèle inacceptable et comme nécessaire ce qui est révoltant. La Tunisie est prise dans ce tourbillon et l’inacceptable se trouve légitimé et défendu outrageusement et ce qui est nécessaire rejeté avec force et dédain.