« Si mauvais que soit un gouvernement, disait le philosophe Taine, il y a quelque chose de pire, c’est la suppression du gouvernement ».
En installant le nouveau gouvernement, non sans souligner au passage son peu de conviction quant à l’efficacité de cette pratique de gouverner, et regrettant les temps où de simples secrétaires d’Etat suffisaient à gérer les affaires du pays, Kais Saied a mis fin à plus de 70 jours d’attente depuis son coup de force du 25 juillet par lequel il gelé l’Assemblée des représentants du peuple et limogé le Chef du gouvernement, réunissant tous les pouvoirs entre ses mains.
Le gouvernement dirigé par Najla Bouden a déjà un premier mérite, celui d’exister et de coller des noms et des visages sur les fonctions qui vont enfin permettre au pays de se mettre au travail pour sortir de sa grave crise.
UN GOUVERNEMENT POUR APPLIQUER QUEL PROGRAMME ?
Cependant, le vrai grand mérite de ce gouvernement est qu’il fait la part belle à la femme en lui offrant, outre la présidence de l’équipe, pas moins de neuf portefeuilles sur les 24 que compte le gouvernement. La parité presque. Ce qui constitue une grande nouveauté, voire une première historique, et pas uniquement pour Tunisie, digne de toutes les fiertés.
Mais quelle signification réelle donner à une telle décision d’avantager tout d’un coup la femme et lui donner autant de poids dans une équipe gouvernementale ? Autrement dit, cet acte est-il libre de toute intention d’instrumentalisation de la cause féminine ?
S’il ne fait de toute que la femme tunisienne a depuis longtemps déjà donné la preuve de sa valeur et de sa capacité d’être aux commandes des postes clés du pouvoir et de la décision, il n’en est pas moins vrai que son incorporation dans un tel gouvernement peut s’avérer une épreuve particulièrement ardue et même risquée. La raison en est simple : le gouvernement n’a pas de programme d’action. Pour qu’il en un, il aurait fallu organiser le débat que l’Ugtt avait proposé depuis mars dernier, mais que le Président Saied a mis sous le coude avant de l’écarter.
Obligé donc de piloter à vue sans vision et sans un ensemble de projets précis et réalisables, le gouvernement Bouden aura du mal à convaincre les partenaires économiques de la Tunisie et les institutions financières dont l’apport et la contribution sont décisifs pour envisager un possible redressement de la situation.
PRÊTER SERMENT SUR QUEL CONSTITUTION ?
L’autre difficulté qu’aura à affronter ce gouvernement est un déficit de légitimité dû à la situation exceptionnelle instaurée depuis le 25 juillet et qui ne cesse de diviser le peuple Tunisien entre partisans et opposants aux mesures décidées par le Président Saied, une division qui va d’ailleurs grandissant, alimentée par les manifestations successives des uns et des autres. La Cheffe du gouvernement et son équipe ont sans doute senti le paradoxe d’une situation où ils ont dû prêter serment de respecter une Constitution dont la quasi-totalité est suspendue. Aurait-il fallu prêter serment sur le décret présidentiel 117 ?
Alors que la nomination d’une femme à la tête d’un gouvernement comptant un nombre imposant de femmes ministres est un fait inédit et digne de tous les éloges, les difficultés liées à la situation politiquement instable et économiquement et socialement précaire, laisse présager une mission qui sera loin d’être de tout repos pour Bouden et son équipe. Car l’essentiel fait défaut. L’essentiel, c’est évidemment l’union sacrée autour d’un gouvernement appelé à sortir le pays de sa crise et lui éviter la catastrophe annoncée. Comment demander cette union alors que l’union nationale elle-même est battue en brèche et que le peuple vit dans l’appréhension et la division ? Comment espérer l’appui de l’élite politique franchement et ouvertement opposée aux décisions du Président Saied, et ipso facto, à son gouvernement ?
On n’aimerait pas voir l’équipe de Najla bouden échouer, parce que l’on n’a pas le droit de sacrifier la cause féminine tunisienne sur l’autel des ambitions politiques de qui que ce soit