A un niveau purement politique, la nomination d’une femme au poste de chef du gouvernement est un acte courageux qui mérite d’être relevé et même salué. Aucun des présidents de la république qui se sont succédé à Carthage n’ont osé le faire. Ni Bourguiba qui s’enorgueillissait d’être l’« émancipateur de la femme », ni Ben Ali qui s’affichait comme son continuateur, ni même le dernier de la première lignée des destouriens, Béji Caid Essebsi. Lui, Kais Saied, l’a fait.
Que peut donc vouloir dire ce choix, quelle valeur pourrait-il avoir en terme de rendement politique, et que peut-il cacher comme jeux et petits calculs politico-politiciens ?
UNE PREMIÈRE HISTORIQUE MAIS…
Sans chercher à donner de la crédibilité aux racontars qui trouvent dans cette nomination l’expression d’une influence sans cesse grandissante « clan féminin du palais » dans lequel opère le duo formé de l’épouse du Président et la Ministre-directrice de son cabinet, il serait cependant naïf de croire que la nomination de Mme Nejla Bouden Romdhan, à la tête du gouvernement de l’après-25-juillet ait été faite sur la simple base de son potentiel d’efficacité et d’efficience politiques et sa possible capacité de relever les immenses défis économiques et sociaux et affronter les difficultés considérables auxquelles le pays est confronté.
Et d’abord cette question : Cheffe du gouvernement ou Premier ministre, ou Premier des ministres, « primus inter pares », comme aimait à le rappeler en latin le regretté Hédi Nouira en son temps et malgré la stature exceptionnelle qu’il avait, mais qui se savait toujours faible et fragile face à un Bouguiba, super-président qui décidait de tout ?
Louable à première vue, voire salutaire pour briser enfin le plafond de verre auquel se heurtent les femmes tunisiennes dans leur accession aux plus hautes responsabilités politiques malgré les textes et les discours officiels qui rivalisent de « progressisme », la nomination de Najla Bouden cache à peine une manœuvre politicienne aux objectifs évidents.
En premier lieu, cette nomination constitue-t-elle une tentative de masquer le visage du conservateur qu’est celui de Kais Saied que son opposition claire et nette au projet de feu Caïd Essebsi visant à inscrire dans le texte l’égalité des droits devant l’héritage, l’avait déjà trahi. En nommant une femme à un tel poste Saied gomme ce défaut préjudiciable dans un pays où le rôle politique des femmes dans les futures batailles politiques pourrait s’avérer décisif.
SERVIR LA RÉPUBLIQUE OU LE PRÉSIDENT DE LA RÉPUBLIQUE ?
Mais le calcul est aussi habile, démagogique et assurément gagnant dans les deux hypothèses. Si Najla Bouden réussit, le bénéfice en reviendra à celui qui l’a choisi, et si elle échoue Kais Saied aura quand même gagné puisqu’il aura réalisé l’essai historique d’avoir été le premier Président Tunisien à nommer une femme à la tête du gouvernement. Sachant, par ailleurs, l’importance de l’électorat féminin, Kais Saied vient de réaliser un bon investissement.
Mais le plus important est encore ailleurs et il faut le chercher dans les intérêts immédiats derrière cette nomination.
Nommer une illustre inconnue à la tête du gouvernement qui reste encore à former dans un pays qui vit la plus grave crise de son histoire et qui pourrait être dans les prochains jours confronté à l’incapacité de payer les salaires de ses employés, ce n’est pas seulement une gageure, c’est une aventure. On ne connaît pas à Najla Bouden une expérience politique qui lui eût fait connaître LA RÉALITÉ de ce pays. On ne lui connaît pas un passé de dirigeante ne serait-ce d’une PME. On ne l’a pas entendu discourir et parler au peuple dans nos villes et dans nos champs. On ne connaît pas ses idées et on ne l’a pas vu débattre. Que pourrait donc faire Mme Bouden ? Servir la République ou le Président de la République ?
Soyons clair : la question n’est pas de désigner une femme à la tête du gouvernement. La question est nommer la femme capable d’assumer une telle responsabilité, sinon cela reviendra à instrumentaliser purement et simplement la cause féminine.
Ce qui est déjà sûr, c’est qu’en nommant son Premier ministre, Kais Saied a franchi un autre pas sur la voie de la présidentialisation du régime politique en mettant les Tunisiens devant le fait accompli de voir un Président nommer et légitimer le chef du gouvernement. Ce faisant, le Président met fin à deux mois d’inquiétante attente et atteint deux autres objectifs : réduire la pression nationale, internationale et donner du grain à moudre à ses adversaires et aux médias qui vont s’occuper pendant un bon bout de temps de la question du nouveau gouvernement.
Quant à Mme Bouden , c’est un vrai miracle qu’il lui faut.