Dans une interview accordée, à l’Agence Anadolu (AA), Rached Ghannouchi a souligné la volonté d’Ennahdha de faire des sacrifices pour le parachèvement du processus démocratique.
Le président du Parlement tunisien et chef du mouvement « Ennahdha » (53 députés sur 217), Rached Ghannouchi, a déclaré que son mouvement avait reçu et compris le message du peuple et qu’il annoncera son autocritique, avec beaucoup de courage, soulignant, en même temps, que les médias arabes qui « diabolisent » l’expérience démocratique tunisienne seront confrontés à la déception.
** La démocratie tunisienne survivra
Ghannouchi a fait savoir qu’il suffisait de suivre la couverture de certaines chaînes arabes sur la question tunisienne, diabolisant sa démocratie, pour constater l’étendue de l’ingérence, qui a pour but de brouiller -voire de détruire- le printemps tunisien. « Si Dieu le veut, ils seront désappointés ».
Et d’ajouter : « Plus de 15 jours se sont écoulés, aujourd’hui, depuis les mesures annoncées par le président de la République, Kaïs Saïed et tout le monde est unanime quant à l’ambiguïté de la situation. Malgré les assurances, la Tunisie est toujours sans gouvernement et le Parlement toujours suspendu. »
« L’arrestation de certains députés, l’interdiction de voyager pour tous et les restrictions touchant les libertés sont des pratiques qui rappellent l’ancien régime », a-t-il noté.
Poursuivant : « Nous n’avons pas connaissance dans l’histoire, d’une révolution menée contre une démocratie. Elle peut vivre une crise, mais la démocratie finit toujours par reprendre ses forces et corriger ses erreurs ».
Ghannouchi a encore estimé que ceux qui parient sur la fin de la démocratie en Tunisie ou sur la fin du pays se font des illusions et a, en outre, admis qu’il y avait de la colère face à l’absence d’un aboutissement socio-économique de la révolution et au comportement de nombre de politiciens, y compris ceux de mouvance islamique, dans un système électoral fragile, et au milieu d’une crise économique majeure aggravée par les répercussions de la crise sanitaire.
« Ceci est une réalité, mais elle ne signifie pas le retrait de la démocratie. On peut parler d’aspects de corruption dans les systèmes démocratiques, mais quand il s’agit de dictature, la corruption est absolue. Avez-vous jamais vu une dictature propre? », a-t-il interrogé.
Optimiste, Ghannouchi considère que la démocratie est capable de se réformer de l’intérieur et qu’il ne faut pas s’en passer.
** La société civile tunisienne est profondément attachée à la démocratie
Ghannouchi a expliqué son optimisme quant à la restauration de la démocratie en Tunisie par la présence d’une société civile forte, d’organisations efficaces et d’une classe politique consciente.
Leurs avis peuvent, selon lui, diverger, mais leur attachement à la liberté et à la démocratie est irréversible. Ils se rassembleront, par conséquent, bientôt, pour défendre les libertés et empêcher la Tunisie de dériver vers la tyrannie.
Aussi a-t-il indiqué ce qui suit : « Nous avons vu les élites tunisiennes se disperser au temps de la liberté et s’unir au temps de la tyrannie, ce qui est compréhensible et réaliste. Nous verrons donc naître des efforts conjoints défendant la démocratie, qui est irremplaçable ».
Pour ce qui est de l’ampleur du soulèvement populaire observé le 25 juillet contre le gouvernement, Ghannouchi a fait savoir que le soutien des Tunisiens aux décisions de Kaïs Saïed était à discuter.
« Il y a de la colère compréhensible parmi des groupes menés par les jeunes, vu l’absence de résultats conformes aux aspirations et aux attentes de notre peuple », a-t-il expliqué, précisant qu’il y a une exagération à ce niveau et que cela faisait partie d’un plan préétabli et connu de tous.
** Nous annoncerons une autocritique avec beaucoup de courage
En réponse à la colère populaire, Ghannouchi a déclaré que le parti Ennahdha avait reçu et compris le message du peuple tunisien et qu’il annoncera une autocritique avec beaucoup de courage. Tout le monde saura alors que le mouvement d’obédience islamique est l’un des partis les plus importants qui a suivi la voie de l’autocritique.
L’homme politique qui n’écoute pas son peuple est, selon le chef du parti Ennahdha, arrogant ou sourd. « Ennahdha annonce, humblement, être ouvert à une révision radicale si nécessaire. Le peuple qui mené la révolution de la liberté et de la dignité ne renoncera pas à son processus historique vers l’enracinement de la justice sociale », a-t-il réitéré.
** L’armée est neutre
Concernant le rôle prépondérant de l’armée durant les derniers évènements, Ghannouchi a affirmé que l’armée tunisienne est républicaine et qu’elle est loin de s’engager dans des rivalités politiques. Elle est chargée de protéger les institutions étatiques et vitales et les dirigeants politiques sont, de ce fait, tenus de ne pas l’impliquer dans les conflits.
Et de poursuivre : « La neutralité de l’armée est un acquis tunisien authentique, qu’il faut préserver et l’image d’un char stationné devant le Parlement est très mauvaise pour l’histoire de l’expérience démocratique naissante. Nous espérons donc, qu’elle disparaitra au plus vite, car nous n’en avons pas besoin étant donné que la démocratie a fourni tous les moyens pacifiques pour ce faire ».
** Tous doivent se conformer aux décisions des institutions du mouvement
Concernant les voix intérieures et extérieures appelant au retrait de Ghannouchi de la présidence du Mouvement, le chef du parti a déclaré : « nous écoutons les voix critiques de toute part, mais Ennahdha a ses institutions supérieures qui prennent des décisions que tout le monde s’engage à mettre en œuvre, y compris son leader ».
Et d’expliquer : « Le Congrès du parti aura lieu, comme prévu, avant la fin de l’année et comme je l’avais précédemment, annoncé, je respecterai le règlement interne du parti limitant la présidence à deux mandats ».
D’autre part, Ghannouchi a souligné que le Congrès du mouvement représentera un arrêt important pour faire une évaluation et aboutir à des conclusions qui profiteront au parti, afin de tracer sa direction future.
« De toute façon, la Tunisie nous est plus précieuse que tout. J’ai consacré ma vie à l’intérêt de mon pays ».
** Nous n’avons pas le monopole de la protection de la démocratie
Concernant les instructions données par le mouvement Ennahdha à ses sympathisants de lever le sit-in tenu devant le Parlement, au lendemain des décisions du chef de l’État, Ghannouchi assure faire partie des forces politiques attachées à la démocratie, sans pour autant vouloir monopoliser la parole à ce sujet, ou encore empêcher quiconque de défendre ses convictions.
Et d’ajouter : “nous n’avons pas monopolisé la parole au nom de la démocratie et nous ne procéderons jamais ainsi. Nous continuerons à défendre nos convictions par les voies pacifiques et institutionnelles”. “Pour la concrétisation des aspirations de notre peuple, nous tenons au retour du processus démocratique dans les plus brefs délais… Chacun pourrait défendre ses convictions… le peuple protégera la démocratie… et les jours à venir le prouveront” poursuit-il.
** Diabolisation de l’expérience démocratique
Au sujet des influences étrangères sur le déroulement des événements récents en Tunisie, Rached Ghannouchi a réitéré son rejet de toute ingérence étrangère dans une affaire interne. “Nous sommes conscients que nous vivons dans un monde interconnecté dans lequel les intérêts croisés se multiplient, notamment en raison de la position géographique de la Tunisie, premier pays du printemps arabe, ainsi, les forces étrangères tentent d’intervenir”, explique-t-il.
Et de poursuivre : “Il suffit de suivre la couverture de certaines chaînes de télévision arabes (en référence aux médias émiratis), de ces événements et la diabolisation de la démocratie, pour comprendre l’étendue de cette ingérence afin d’anéantir le printemps tunisien. Cependant, ils seront confrontés à la déception”.
Face à l’interventionnisme étranger, Rached Ghannouchi semble confiant que le peuple tunisien et ses élites, sont capables de de résoudre tout conflit par le dialogue et les concessions dans l’intérêt national. “Ennahdha avait auparavant renoncé au pouvoir pour l’intérêt national et le mouvement, par son sens du patriotisme, est, aujourd’hui, prêt à se sacrifier pour achever le processus démocratique” a-t-il ajouté.
** Il n’y a de solution pour la Tunisie qu’à travers le dialogue
Ghannouchi a déclaré : « nous attendons que le président de la République annonce une feuille de route qui clarifie sa vision de la sortie de crise actuelle, et nous sommes convaincus qu’il n’y a de solution aux problèmes complexes du pays, que par la tenue d’un dialogue global sous l’égide du président de la République ».
« Nous le soutiendrons et œuvrerons à sa réussite, moyennant les sacrifices nécessaires pour préserver la stabilité de notre pays et la continuité de notre démocratie,. Nous espérons que ce dialogue inclura les caractéristiques de la prochaine étape au niveau des réformes économiques et politiques dont le pays a besoin », a-t-il annoncé.
Ghannouchi a indiqué que la Tunisie doit également sortir de l’état de dysfonctionnement des institutions, qu’elles soient législatives, représentées par le parlement, ou exécutives représentées par le gouvernement.
Il a estimé que la « démission » de Mechichi avait ouvert la voie au président pour proposer un nouveau chef du Gouvernement et nous sommes prêts à coopérer, tant que l’objectif est de se concentrer sur la résolution des problèmes du pays. « Nous attendons du Parlement d’interagir positivement avec le gouvernement proposé, que ce soit au niveau de l’accord de confiance ou du programme », a-t-il détaillé.
Il a poursuivi : « Nous devons fermer la parenthèse des mesures exceptionnelles, afin que nous ayons un gouvernement légitime et une autorité législative contribuant, en collaboration avec d’autres autorités, à la recherche de solutions et profitant des erreurs du passé pour les éviter et les surmonter, en coopération avec les forces de la société et le reste des institutions de l’État ».
» Il n’y a de solution pour la Tunisie qu’à travers le dialogue et la coopération, afin de préserver la flamme de la liberté et de la révolution, et afin de s’appuyer sur les acquis existants pour surmonter et corriger les lacunes qui ont entaché notre expérience », tel était le mot de la fin du chef du parti d’obédience islamique « Ennahdha ».
Le 25 juillet, le Président de la République, Kaïs Saïed avait, en effet, activé l’article 80 de la Constitution, en vertu duquel, il avait suspendu les travaux du Parlement et levé l’immunité de tous les députés pour une durée de 30 jours. Aussi, avait-il limogé le chef du gouvernement Hichem Mechichi et annoncé qu’il allait en désigner un nouveau.
Il avait également annoncé qu’il allait, temporairement, occuper la tête de l’Exécutif et qu’il allait présider le ministère public, afin de « sauver le pays et restaurer la paix sociale », selon une allocution prononcée, le même jour, en marge d’une réunion d’urgence tenue avec des hauts cadres sécuritaires et militaires.