Par Moktar Lamari, Ph.D. Universitaire au Canada, et présent à Washington du 18-24 avril
Ici à Washington DC, les délégations font leurs valises, après la clôture des 26eme Spring meetings du FMI & WB (18-24 avril). Certaines délégations sont aux anges, d’autres sont aux abois! La délégation tunisienne rentre bredouille! L’heure du bilan…
A titre de chercheur et d’universitaire, financé par mon université canadienne, j’ai suivi de près, 5 jours durant, toutes les activités publiques et scruté toutes les conférences et décisions prises lors de ces cinq journées d’intense activités. Je suis déjà en train de tirer mes conclusions et à faire mes constats…et enseignements.
A ce titre, j’explique l’échec cuisant de la délégation tunisienne en cinq points. Certaines explications sont liées aux déficits de compétences, d’autres à la mauvaise préparation et à l’inefficacité des approches adoptées par la délégation tunisienne, lors de ces rencontres.
D’autres raisons sont exogènes à la délégation et sont liées fondamentalement au contexte socio-politique de la Tunisie et son écho international, à Washington notamment.
Une mission bricolée, mal préparée
1- La première raison de l’échec tient au fait que la délégation a été mal préparée et bancale à bien des égards. Ici à Washington, on ne comprend pas pourquoi la ministre de l’Economie a été gardée à Tunis, à distance et n’a pas osé venir faire son plaidoyer, séance tenante, les yeux dans les yeux! Des rumeurs ont circulé au sein du FMI laissent entendre qu’elle a été exclue du voyage à la dernière minute pour incompatibilité d’humeur avec le représentant de la Tunisie au sein du FMI (Maroune Abassi).
La présence d’une ministre femme au sein de la délégation tunisienne aurait donné plus de fraîcheur et de messages positifs, lors de ces rencontres largement portées, engagées et acquises pour l’égalité des genres. Et cela reste de l’utopie pour bien de décideurs au Bled! Mais, au delà de ce point, la délégation présente à Washington a fait choux blanc sur le plan de la communication et du branding. L’ambassadrice de la Tunisie à Washington assume une bonne partie des maladresses. Elle n’a pas aidé et n’a pas fait le nécessaire, pour mobiliser les troupes, et les compétences universitaires tunisiennes pour plaider d’une seule voix la cause tunisienne…dans les médias à Washington et dans les couloirs des rencontres. Plusieurs universitaires et experts tunisiens résidents à Washington auraient aidé…mais le courant ne passe plus, dommage! Plusieurs Tunisiens ont fait leur carrière au sein du FMI et ils ont été tassés…sans raisons! L’ambassadrice assume une responsabilité dans ce fiasco!
2- La délégation tunisienne n’était pas en maîtrise de ses dossiers, de ses chiffres et de ses argumentaires. Elle n’avait pas d’objectifs clairs à atteindre, communiqués, cartes sur table, sans opacité et sans magouille politiciennes. On ne peut pas convaincre les prêteurs, quand on arrive aux négociations avec des données manquantes, des données boiteuses, des données asymétriques. La directrice générale du FMI l’a mentionné explicitement, en disant franchement, on va s’assoir avec la Tunisie pour vérifier tous les paramètres, voulant dire toutes les données douteuses. Ici, on mentionne et on insiste pour dire que le FMI a besoin des données fiables, non politisées et pas bricolées. Le FMI a rejeté les données présentées par la délégation tunisienne. La BCT a présenté des données bancales, la BCT n’a pas convaincu! Son rapport annuel de 2021, présenté au président Kais Saied, n’est toujours pas présenté publiquement et selon mes sources, ce rapport comporte de nombreuses données retouchées et biaisées politiquement.
Une mission sans leadership
3- Pour ce type de kermès internationale, les délégations s’organisent pour être visible, pour être top et pour être dans l’agenda-setting! La Tunisie du Printemps arabe est arrivée à Washington sans objectifs clairs et sans message punché et convainquant!
Le gouverneur de la banque centrale est noté C depuis 2016, C- pour 2021, par les agences de notation (Banker.com). Comme trop ce n’est pas assez, la Tunisie parie sur un tocard! Un gouverneur mal vu, brûlé au départ! Ici à Washington on ne comprend pas comment le pays nomme et choisit ses élites.
Quasiment aucun des membres de la délégation ne parle couramment l’anglais, pour avoir le easy-going, et le wording requis.
Aucun n’est en mesure d’embarquer pour développer des argumentaires limpides dans l’air du temps! Alors que tout le monde parle de la monnaie digitale, la Tunisie véhicule un code de change qui date de 50 ans. Alors que tout le monde parle de transparence, la délégation tunisienne arrive à Washington avec une programme de réformes tenu secrets.
Le gouverneur de la Banque centrale n’a pas la carrure qu’il faut pour peser dans les débats et les enjeux économiques débattus lors de ces rencontres. Le ministre du Plan est un ancien banquier, ne maîtrisant pas les fondamentaux macroéconomiques et sociopolitiques des débats. Tous, ils écoutent sans réagir et sans connaitre les concepts et les principes des accords de Washington, ceux régissant le fonctionnement des institutions du Bretton Woods.
Une mission désincarnée
4- alors que les médias de Washington multipliaient les attaques et les critiques contre les dérives politiques en Tunisie, la délégation de la Tunisie se cachait et rasait les murs.
Inconfortable, la délégation déjà mal préparée, ne voulant prendre aucun risque et ne voulant pas prendre la parole pour rayonner, pour communiquer et pour séduire…
L’ambassadrice tunisienne à Washington n’est pas à sa place, hors sujet, aucune compréhension des enjeux et et aucun leadership mobilisateurs des universitaires tunisiens en Amérique du Nord, des universitaires ayant une crédibilité et un rayonnement reconnu par leurs pairs économistes présents dans ces rencontres fondamentalement économiques et traitant des plus récentes recherches et données financières, monétaires et économiques.
Une mission mise hors jeu!
5- alors que les débats et négociations battaient leur plein à Washington, la Tunisie a décidé de défaire la commission institutionnelle chargée des prochaines élections. Cela a fait un gros choc et suscité de nombreux messages sur Twitter.
C’est du pain béni pour Les agences de notation, Fitch, Moody’s…S&P, entre autres!
La Tunisie continue d’envoyer des messages agressifs contre les agences de notation, les groupes de pression.
La délégation tunisienne présente dans ces rencontres a fait à la tunisienne…entre nous et entre amis… ignorant que la culture et les mentalités sont différentes ici.
On ne peut pas convaincre les donateurs et les prêteurs internationaux, si on n’arrive pas à convaincre les expats et les vieux de la vielle ici à Washington, au Québec ou à New-York.
Les prêts et les soutiens américains à la Tunisie se joue dans l’informel, dans les rencontres mobilisatrices…
Le FMI et la Banque mondiale emploient une vingtaine de Tunisiens et Tunisiennes et tous sont patriotes, tous ignorés ou presque par la délégation tunisienne, …avec l’appui de Mme l’ambassadrice de tunisie à Washington. Un bilan s’impose…une mea-culpa?