La presse, pardon les médias sociaux qui donnent le tempo de tous les débats, s’enflamment à tout moment, sur tout fait divers local ou international et s’extasient soudainement à l’endroit des décisions du Roi du Maroc relatives au retour estival de ses compatriotes, et à la fixation des tarifs aériens à des montants dérisoires, par rapport à ce qu’impose le marché depuis des années.
À ce titre les commentaires de beaucoup d’internautes, et de quelques plumes, notamment parmi les plus à la mode, sont dithyrambiques, écrits dans l’émotion, ce moteur réactif devenu une spécificité des sociétés arabes, cette émotion qui empêche toute analyse de fond et rappel de background politico-historique. Les envolées lyriques l’emportent. Mais les envolées lyriques ne suffisent pas et ne règlent pas grand-chose
La réalité politique, administrative, structurelle, et même le récit national et l’imaginaire collectif ne sont pas les mêmes au Maroc et en Tunisie.
En 1 mot comme en 100, au Maroc il y’a un pilote dans l’avion. Il lui suffit de tourner la clé du moteur pour que l’avion décolle
En Tunisie l’avion est en panne sur le tarmac.
On ne sait pas qui a la clé.
On ne sait pas qui est le pilote chargé de la mission.
Le pilote de Carthage ?
Le pilote de la casbah ?
Le pilote du Bardo ?
Les tunisiens ayant acquis des libertés publiques, comme dit le droit français, et des libertés individuelles, comme dit le droit américain (une sacrée différence institutionnelle et mentale !), imaginons, dans un premier moment ,par extraordinaire et par absurdité kafkaïenne, que le pilote de Carthage annonce dans son Arabe châtié et dans une planche calligraphiée adressée dans la foulée au musée du Bardo et non au pilote du Bardo « le tarif des billets d’avion pour les tunisiens résidents à l’étranger (TRE) est fixé forfaitairement à 200€ pour cet été 2021 »
Je vous laisse imaginer la réaction, dans la seconde, à cette parole décision du pilote de Carthage
La plus modérée des réactions affirme : « Cette parole décision ne fait pas partie des prérogatives du pilote de Carthage ».
Des commentateurs accourent pour la surenchère. Qui pour déclarer que c’est une prérogative du pilote de la casbah. Qui pour pérorer que c’est une prérogative du ministre des transports. Qui pour surenchérir que c’est une prérogative du président directeur général de Tunisair (s’il y’en a un en place le jour de la parole décision du pilote de Carthage). Un syndicaliste sur le retour ajoutera même, par simple corporatisme, que cette prérogative revient au Ministre des Affaires Sociales, syndicaliste de renom, voire de l’office des tunisiens à l’étranger (OTE), la confusion devenant la règle politique ambiante quand il s’agit de parler TRE. Ces derniers relèvent, officiellement, sur le papier, des attributions du Ministère des Affaires Étrangères, baptisé pompeusement « Le Ministère des Affaires Étrangères, de la migration et des Tunisiens à l’étranger », alors que dans les faits c’est le Ministère des Affaires sociales, et son bras administratif l’OTE qui gèrent le dossier TRE, y compris pour son aspect l’arlésienne qu’est devenu le « Haut Conseil des TRE » une institution constitutionnelle comme tant d’autres prévues – promises dans la constitution de 2014 dite pour le fan révolutionnaire la constitution de la deuxième république et qui attendent leurs concrétisation dans une chimère de troisième république qui pourrait se concrétiser dans un voyage vers le passé et la constitution de 1959, aujourd’hui revendiqué par le plote de Carthage. « Haut Conseil des TRE », qui au passage est devenue l’arlésienne trustée par les députés tunisiens à l’étranger, élus à double casquettes, juges et parties. Pilotes (et copilotes) pour les Tunisiens résidents à l’étranger, dont on retient manifestement l’expression à l’étranger, et on occulte leur qualité première : les Tunisiens.
Quant aux autres réactions, quand à parole suggestions toujours colorées, plus imaginatives les unes que les autres, je vous conseille à la re – lecture du superbe pamphlet de l’auteur de l’hymne national tunisien, Abou Al Kacem Al Chebbi, « l’imaginaire poétique chez les Arabes ».
Si Kafka n’existait, pas les tunisiens, d’aujourd’hui, l’auraient inventé, après s’être déchirés pendant une décennie sur le nom à lui attribuer. Quant à Antonio GRAMSCI, il a probablement eu une fulgurance et un voyage temporel dans la Tunisie des 2020, pour écrire : l’ancien monde tarde à mourir, le nouveau monde tarde à naître. Et dans l’intervalle naissent les montres. »
Nous y sommes. Attendons d’en sortir pour revenir à la question des TRE, entre coût des billets de Tunisair et de la CTN (bateau) et mise en place du « Haut Conseil des TRE ». L’heure est toujours celle du règne de la parole-Buzz, celle de la décision et de l’action attendra.
Tarek MAMI Journaliste Paris