C’est l’un des secrets les mieux gardés de Russie : l’ampleur de la fortune de Vladimir Poutine, qui affiche un train de vie modeste et ne touche officiellement qu’un salaire de 11 000 euros par mois. Depuis des années, journalistes et ONG s’efforcent de cartographier le véritable patrimoine du président russe, soupçonné de détenir en sous-main de nombreuses propriétés immobilières de luxe, des yachts, des jets et des comptes bancaires. Il n’avait, jusqu’à présent, jamais été possible de démontrer le lien entre M. Poutine et ces différents actifs, dont les propriétaires officiels, de richissimes oligarques ou des proches du président, sont soupçonnés de jouer les prête-noms pour son compte.
Mais un détail en apparence anodin révélé, ce lundi 20 juin, par une enquête fouillée du consortium de journalistes d’investigation Organized Crime and Corruption Reporting Project (OCCRP) et du média indépendant russe Meduza, permet pour la première fois de faire le lien entre 86 sociétés, qui détiennent plus de 4,5 milliards de dollars de biens immobiliers, yachts, jets privés et avoirs financiers présumés appartenir en réalité à Vladimir Poutine et son entourage. Toutes les structures de cette nébuleuse utilisent le même nom de domaine de messagerie : LLCinvest.ru, un serveur Web hébergé par une discrète entreprise informatique russe baptisée Moskomsvyaz, dont une partie des données internes ont fuité auprès de journalistes l’an dernier. Les données échappées montrent que des dirigeants, propriétaires et employés de sociétés théoriquement indépendantes ont communiqué régulièrement entre eux, comme s’ils faisaient partie de la même entreprise.
A certains égards, la nébuleuse LLCinvest ressemble à une version plus sophistiquée et moins formelle d’un système décrit en 2010 par Sergueï Kolesnikov. Dans une lettre ouverte, cet homme d’affaires ayant fui la Russie décrivait un schéma de corruption dont il se disait le concepteur, qui aurait permis à un groupe d’oligarques russes de réunir des milliards de roubles dans une sorte de « fonds d’investissement » au profit de M. Poutine, alors premier ministre