Par centaines, par milliers, des harragas algériens tentent de rejoindre l’Espagne puis, pour beaucoup, la France. Des « collègues » marocains, moins nombreux, font de même. Dans les deux pays, malgré les déclarations officielles, la vie est de plus en plus dure, même si une amélioration commencerait à se faire sentir et une partie de la jeunesse ne se voit aucun avenir. Les dirigeants sont ailleurs et n’écoutent pas les revendications populaires, plus prononcées en Algérie qu’au Maroc. A Alger, le pouvoir, depuis montée du Hirak – nom de la contestation d’ailleurs emprunté à celle du Rif marocain- est dans sa bulle et ne songe qu’à se protéger. Et la recette est simple, connue et appliquée dans le monde entier : désigner un ennemi, un bouc émissaire dans le but d’unifier le pays derrière une cause et donc derrière ses dirigeants. Les responsables de tous les problèmes sont, pour Alger le Maroc et la France. Les raisons ne manquent pas et peuvent paraître propres à faire monter une colère justifiée. Pourtant, toute cette montée de haine est irrationnelle et vient de plus loin que les accords d’Abraham qui ont vu le Maroc se rapprocher d’Israël ou du Sahara occidental, ce conflit de très basse intensité vieux de plus de 45 ans que l’on réanime pour des besoins intérieurs. Avec la France, le conflit est avant tout mémoriel et, pour faire monter les tensions, on joue sur les mots, sur l’histoire. Le but est le même : détourner l’attention, tenter d’unir un peuple méfiant et mécontent autour d’un pouvoir en quête d’une légitimité que ce peuple ne lui reconnaît plus. Aux demandes de liberté, de démocratie et de vie meilleure, le pouvoir répond répression, défense de la sécurité nationale face aux manœuvres de l’ennemi finalement marocco-israélo-français.
Et le ton ne cesse de monter : représailles annoncées contre l’Algérie après la mort de camionneurs, pas de « premier pas » vers la France qui a tenu -Macron- des « propos très graves ». Côté marocain, roi, le roi a réaffirmé hier que la « marocanité du Sahara est non négociable », qu’elle ne sera jamais à l’ordre du jour d’une quelconque tractation ». Le Sahara que Rabat a réellement transformé et modernisé est une cause sacrée que la monarchie tient à réveiller aux moments délicats. Même si la contestation n’est pas de même nature que chez le voisin – malgré les problèmes, la vie chère, la surveillance policière, des arrestations de contestataires, le pays profond reste attaché à son roi commandeur des croyants et lui pardonne ses excès.
La rivalité de toujours, l’orgueil national a conduit les deux « frères » à la rupture. Tous les signaux sont au rouge et un pas de plus dans l’escalade peut signifier guerre. Le Maroc ne cesse de répéter qu’il refuse le conflit et si les vieux généraux algériens qui semblent dicter les mots du président Tebboune, on a du mal à croire qu’ils se risqueraient à déclencher une guerre ouverte. Ce serait une décision inconsidérée, contraire aux intérêts des deux pays, un conflit qui ruinerait tous les efforts de développement et que les peuple ne comprendraient pas. Leur lutte, répétons-le, n’est pas celle de leurs dirigeants. Sous une façade plus sage, les Marocains ne sont pas tout à fait « sages » et innocents. Si la guerre frontale semble aujourd’hui invraisemblable, les deux pays se serviront de tous leurs atouts pour faire plier l’autre -gaz et pétrole pour l’Algérie, stabilité, position géostratégique, énergie verte pour le Maroc- et pourraient bien saisir toutes les occasions de s’opposer sur tous les terrains possibles, notamment le Sahel, la Libye, l’influence en Afrique, les relations internationales. Schématiquement, Alger, déçu par les Etats-Unis se situe dans le camp russe et chinois, Rabat dans l’orbite américaine. Les généraux algériens, Saïd à leur tête, choisiraient aussi de renforcer le Polisario pour qu’il harcèle davantage les FAR et poussent le roi à moins de fermeté.
Signaux au rouge, danger réel mais comment Alger pourrait envisager de célébrer l’an prochain le 62e anniversaire de son indépendance en pleine guerre ? Toutes les manœuvres actuelles ont pour but de montrer un pays uni. A moins d’un geste fou dans l’espoir d’une victoire rapide.