Tu ne connaissais que mon masque voici mon visage !
Victor Hugo
Avouez quand même que ce Coronavirus a réalisé ce qu’aucune puissance militaire ou politique, ce qu’aucune idéologie ni religion n’a pu réaliser jusque-là:soumettre tous les humains à obéir à la même loi en se flanquant d’un morceau de tissu couvrant le nez et la bouche, les deux organes par lesquels passe l’essence de la vie:le souffle.Sans le souffle, il n’y a pas de vie. « I can’t breathe !»,crie le pauvre George Floyd aux quatre flics de Minneapolis qui ,imperturbables, lui prennent le souffle et le laissent sans vie.
Un miracle,le masque !Car non seulement il permet de tenir à distance le pernicieux et non moins invisible virus, bouffeur des poumons, mais il réussit aussi ,et surtout,d’égaliser entre différents peuples ,pays et continents; entre noirs, blancs et jaunes ;entre puissants et faibles ;entre riches et pauvres…,tous égaux car tous masqués.Enfin,à ces deux petites nuances près :que d’abord il y a masques et masques.Des masques à quat’sous qu’on achète chez un vendeur à la sauvette.Et des masques haut de gamme tissés par les petites mains des grands noms de la haute couture et importés à prix d’or, en toute discrétion ,bien sûr.Et que ,d’autre part-et cela est facile à vérifier-,de la fillette encore toute frêle à la bonne mémère bien en chair, c’est la gent féminine qui ,chez nous, porte le plus le petit tissu salutaire.Un autre signe, sans doute, encore un, que ce pays sera sauvé par ses femmes.
D’aussi loin que l’homme se souvienne il y a eu toujours des masques.C’est même à se demander si la première chose que l’homme a fabriquée n’est pas un masque.Son propre masque.Histoire de défier la mort et l’oubli.
De tout temps, donc, et partout ,l’homme a fait des masques.Pour s’adresser aux dieux,pour dissimuler l’expression de son visage ou, au contraire, pour l’accentuer comme aujourd’hui encore dans certaines traditions artistiques japonaises .Pour imiter un visage, pour commettre un meurtre ou vol, ou pour simplement s’amuser, l’homme a créé et porté des masques.
Il y a ,selon les cultures et les époques, des masques funéraires comme dans l’Egypte des pharaonique, des masques mortuaires des les pays d’Europe occidentale, des masques de carnaval dans la Sérénissime république de Venise.Il y a des masques de théâtre depuis la Grèce de Sophocle, il y a 25 siècles, des masques religieux permettant aux prêtres chamans de dialoguer avec les esprits de la nature; et il y a même des masques de la honte propres aux peuples germaniques qu’on fait porter aux mauvais citoyens pour les punir.
Nul doute que les Arabes avant l’apparition de l’islam ,période appelée la Jahilya (l’ignorance) ont eu, aussi ,leurs masques dès lors qu’ils étaient polythéistes et qu’ils adoraient des dizaines de divinités qu’ils aimaient à représenter sous différentes formes et dans différentes matières, y compris en pâte de sucre.Mais l’ « islam effaçant ce qui a précédé »et craignant pour ses récents adeptes de retourner à l’associationnisme toute représentation ou figuration dessinée, peinte ou sculptée a été proscrite.D’où l’indigence du patrimoine arabe en matière d’art figuratif et de représentation du visible.Et d’où l’absence du masque dans nos traditions.
Mais attention:les Arabes se sont bien rattrapés depuis ,et le Sommet(j’ai failli écrire le sommeil mais cela aurait été trop facile ) de la Ligue arabe tenu ,il y a quelques jours au Caire, niveau des ministres des Affaires étrangères en a donné l’édifiante preuve.Ça a été tout simplement le plus beau carnaval de l’hypocrisie.incapables de dégager une position commune sur la décision unilatérale des Émirats de normaliser ses relations avec l’Etat d’Israël,les dirigeants arabes ont laissé tomber leurs masques et ce qui leur restait de dignité.
Donc,de proche en proche,de pénurie en surabondance, le masque , devenu symbole de cette pandémie mondiale ,est en train de s’installer dans notre vie quotidienne comme à la fois, la preuve de notre appartenance à ces 7 milliards d’humains dont nous partageons ,au-delà des croyances et de des couleurs de la peau,les mêmes peurs et espérances, et comme notre engagement citoyen à se protéger et à protéger les autres,ceux que l’on connaît et fréquente , et ceux que l’on connaît pas mais que l’on peut croiser ,au hasard ,chez le boulanger, sur le lieu du travail ou au coin de la rue.Rien ne prouve que le masque est efficace à % contre la propagation du virus.A l’inverse, personne n’est capable de prouver le contraire.Dans le doute, porter le masque devient une responsabilité individuelle que rend nécessaire le devoir du vivre ensemble.
Hélas la responsabilité individuelle reste un simple beau principe dont beaucoup de nos nos citoyens n’en ont cure.Ce qui ne laisse qu’un seul choix:la contrainte.
Contraindre nos citoyens à porter le masque.Oui mais il est des métiers où cacher une partie de son visage rend la mission difficile voire impossible.
Comment, par exemple un instituteur peut-il, sans l’aide de la mimique de sa bouche, de son sourire ou demi- sourire, sans pincer ses lèvres ou les mordant, expliquer une leçon ou aider ses élèves à mieux l’assimiler.
Un autre métier où le port du masque paraît impossible: celui du politicien.Comment donc peut-il mentir en se cachant la bouche ?
Paru chez l’Economiste maghrébin